À qui et à quoi faisons-nous confiance ?

Auteurs):

Eric M.Meslin

Conseil des académies canadiennes

Président et CEO

Anita Melnyk

Conseil des académies canadiennes

Directeur de projet

Les portraits d’un homme et d’une femme blancs devant un fond doré
Clause de non-responsabilité : La version française de cet éditorial a été auto-traduite et n’a pas été approuvée par l’auteur.

La confiance est l’un des ciments qui cimentent une société saine. Grâce à lui, nos systèmes financiers et bancaires bénéficient de la confiance des marchés ; notre système politique en dépend pour les résultats des élections et la bonne gouvernance ; notre système judiciaire en dépend pour l’administration d’une procédure régulière ; et les preuves produites par nos systèmes de science et d’innovation sont fiables en termes d’objectivité et d’excellence. 

Mais la confiance est de plus en plus fragile et il suffit de peu pour que la confiance du public soit ébranlée. La fiabilité des banques, des tribunaux, des corps législatifs ou des laboratoires est désormais en partie influencée par un tsunami de données et d’informations, rendues plus accessibles par d’innombrables plateformes médiatiques de qualité et de fiabilité inégales. À ce déluge s’ajoute l’amalgame des messages et des personnalités qui les promeuvent. Aujourd’hui, déterminer à qui et à quoi on peut faire confiance est rarement simple et généralement contesté, en particulier lorsque la mésinformation et la désinformation se multiplient.

Au Canada, on constate une détérioration documentée de la confiance dans les institutions, les experts, les médias et la science. 1-3, conduisant à une polarisation des opinions et des communautés. L’un des résultats est que moins de personnes souhaitent aider, vivre à proximité ou travailler avec ceux qui ne sont pas d’accord avec eux. 4. Pour un pays qui se targue d’être un lieu de vie empreint de compassion et d’accueil, ces tendances indiquent plutôt que le Canada devient moins inclusif, moins amical et moins tolérant. 

La science a toujours généré des problèmes de division. Les débats sur les organismes génétiquement modifiés, la recherche sur les cellules souches, le changement climatique et la politique vaccinale ont divisé les individus et soulevé des questions sur la validité des preuves et l’acceptabilité éthique de la science. Dans le passé, ces débats étaient souvent menés civilement sur la place publique, dans les pages éditoriales des journaux et dans les salles des assemblées législatives. La confiance n’a pas été mise à l’épreuve, même si la science aurait pu l’être.

Aujourd’hui, une dynamique différente émerge, amplifiée par la pandémie de COVID-19. Il s’agit à la fois d’une méfiance généralisée à l’égard de la « science » au sens large et d’une méfiance à l’égard des décisions prises sur la base de cette science. Pendant la pandémie, les gens ont remis en question l'origine du virus, la valeur des masques, l'adéquation du contrôle aux frontières et la sécurité des vaccins.5. Beaucoup étaient des questions légitimes concernant la science elle-même, les individus participant en temps réel à une partie fondamentale du processus scientifique. Mais d’autres ont alimenté les théories du complot et remis en question les motivations des scientifiques, favorisant la méfiance à l’égard du processus décisionnel et s’opposant à un dialogue inclusif. Et cette méfiance ne se limitait pas à la politique relative à la pandémie : elle s'étendait souvent à des actions sur d'autres questions telles que le changement climatique, la réconciliation autochtone et le racisme systémique.6

Il est décourageant de constater que la confiance s’est évaporée, pour certains, au moment même où les responsables de la santé publique fournissaient des conseils fiables (qui comportaient de l’incertitude), ce qui a entraîné de graves répercussions sur la santé individuelle et communautaire, ainsi que sur la cohésion sociale. Une évaluation du Conseil des académies canadiennes (CAC) sur la désinformation a révélé qu'entre mars et novembre 2021, la désinformation a contribué à l'hésitation à la vaccination d'environ 2.35 millions de personnes au Canada, entraînant une augmentation des maladies, des décès et des coûts des soins de santé>sup>7/. Lorsqu’une urgence de santé publique menace la santé et le bien-être de la société, la polarisation, le débat et la méfiance sont antithétiques et contre-productifs. 

Qu’est-ce qui explique le manque de confiance dans les conseils et que peut-on faire pour y remédier ? Un sondage mené auprès des Canadiens à la suite de la pandémie a révélé que près de la moitié étaient insatisfaits de la transparence du gouvernement concernant les facteurs qui influencent la prise de décision.8. La société est, à juste titre, incertaine quant à la vitesse et au rythme de la science, ainsi qu’à ce qu’elle pourrait faire pour améliorer leur vie. Mais lorsque ces inquiétudes s’ajoutent à des craintes à l’égard de leur communauté ou de leur pays, la science peut être dangereusement politisée.

Le désespoir face à l’avenir n’est pas le destin prédéterminé de la société ou de la science, précisément parce que la science et la société ont la capacité commune d’apprendre les unes des autres et de changer le discours. La science est présente partout : dans les écoles, les entreprises privées et les laboratoires publics. Elle est entreprise sur tous les sujets dans et autour de l'univers. Cela a amélioré la vie. Rétablir et reconstruire la confiance dans la science est une responsabilité collective, et cela commence par un engagement en faveur d’une meilleure communication et transparence. Ceux qui souhaitent transmettre efficacement la science (et les conseils qu’elle soutient) à la communauté dans son ensemble devraient s’engager tôt et souvent et communiquer dans un langage compréhensible. Ceux qui n’apprécient peut-être pas le fondement d’une recommandation scientifique doivent s’attendre à une communication claire émanant de sources fiables. Même si une communication claire et la transparence nécessitent du temps et de l’argent, elles valent la peine d’être investies à long terme. Comme pour les infrastructures physiques, la société devrait s’engager non seulement à instaurer la confiance, mais également à la maintenir en améliorant la culture scientifique, en démystifiant la désinformation, en formant les jeunes et en créant des environnements propices à un dialogue respectueux.

La Conseil des académies canadiennes (Le CCA) fait partie d’une communauté d’organisations partageant les mêmes idées et qui considèrent la science comme une entreprise (principalement) apolitique. Cela ne veut pas dire que la science ne doit pas être un sujet de débat politique. La politique scientifique de notre pays – comme sa politique en matière d'innovation, de défense ou de travail – devrait faire partie de l'agenda de chaque gouvernement, quel que soit celui qui est au pouvoir. Il en va de même pour une approche de la science au service des politiques : il devrait y avoir un engagement continu en faveur de l’utilisation transparente des données probantes pour éclairer les politiques, car elles permettent de disposer des meilleures informations au moment où elles sont le plus nécessaires pour soutenir une société saine et prospère. C’est une idée qui, nous l’espérons, restera fidèle.

Références:
1- https://getproof.com/blog/the-proof-cantrust-index/
2- https://www.rcinet.ca/en/2019/09/24/canadians-trust-in-science-lessly-to-be-eroding-poll/
3- https://chaireunesco-prev.ca/rapport-medias-2023/
4- https://www.edelman.com/trust/2023/trust-barometer
Séries 5,6- EKOS. (2021). Désinformation. Ottawa (ON) : Associés de recherche EKOS.
7- Le Groupe d’experts sur les impacts socio-économiques de la désinformation en matière de science et de santé. (2023) Lignes de faille. Ottawa (ON) : CAC.
8- https://evidencefordemocracy.ca/research/attitudes-towards-government-use-of-evidence-among-the-canadian-public/