L'innovation dans un monde en mutation : les choix stratégiques du Canada

Publié le: octobre 2024Catégories: Stratégie d'innovation du Canada 2024, Éditoriaux
Clause de non-responsabilité : La version française de cet éditorial a été auto-traduite et n’a pas été approuvée par l’auteur.
Carlos Freire

Carlos Freire-Gibb

School of Business

Université MacEwan

Il est urgent et crucial de tenir un dialogue national sur la stratégie d'innovation du Canada. Le terme « stratégie » vient du grec, où il était à l'origine utilisé par les dirigeants militaires pour commander et contrôler les ressources au sein d'une structure hiérarchique. Aujourd'hui, le terme « stratégie » est souvent utilisé de manière informelle, en particulier dans le contexte des affaires, où il est fréquemment confondu avec « plan ». Cependant, la stratégie englobe bien plus que le simple fait d'avoir un plan (Freedman, 2015). 

L’idée d’une stratégie nationale peut tirer des enseignements précieux des définitions commerciales de la stratégie, où les experts constatent que «Une seule chose peut expliquer le type de succès durable que nous observons dans les plus grandes entreprises du monde : c'est une stratégie intelligemment conçue et bien exécutée, qui facilite la saisie des opportunités émergentes, produit des performances durables, est adaptable aux conditions commerciales changeantes et peut résister aux défis concurrentiels…« (Thomson et al., 2022). Dans le contexte de la politique d’innovation, la stratégie doit tenir compte de la diversité des acteurs qui façonnent l’innovation, dont beaucoup fonctionnent de manière indépendante et ne peuvent recevoir d’ordres d’une autorité centralisée.

Une conversation nationale sur la stratégie d’innovation du Canada peut également tirer des enseignements précieux des discussions précédentes sur la politique d’innovation. L’année 2025 marque le 25e anniversaire de la publication de Jorge Niosi, « Le système national d’innovation du Canada ». Niosi, décédé en 2023, a consacré sa carrière à la compréhension de l’innovation et de la dynamique entrepreneuriale au Canada. En tant qu’universitaire très influent de l’Université du Québec à Montréal, Niosi s’est spécialisé dans la gestion de la technologie et les systèmes d’innovation. Il a écrit de nombreux livres et articles, fondé et dirigé des centres de recherche clés et a eu un impact durable sur la politique scientifique et technologique. Ses recherches, notamment dans les secteurs de la biotechnologie et de l’aéronautique, ont mis l’accent sur le rôle des acteurs clés dans le système d’innovation du Canada.

Dans son livre, s’appuyant sur des études d’innovation existantes, Niosi (2000) distingue deux variétés de systèmes nationaux d’innovation : «la définition étroite (englobant uniquement les institutions actives dans la R&D et les agences publiques de régulation) et le sens large (incluant également les institutions privées de soutien, telles que les banques, et les institutions publiques, telles que les infrastructures gouvernementales et les systèmes éducatifs)" Niosi a concentré ses travaux sur le sens étroit, et le Canada n'a pas encore pleinement développé un système national d'innovation solide au sens large. Cela peut être dû en partie à notre vaste paysage géographique, à la compétence limitée du gouvernement fédéral sur les questions liées à l'innovation, ou peut-être à un manque de compréhension du rôle qu'un système national d'innovation au sens large peut jouer dans le développement économique.

Niosi a collaboré avec plusieurs éminents spécialistes de l’innovation pour déterminer les domaines dans lesquels les principaux acteurs de l’innovation au Canada devraient se concentrer en termes d’internationalisation. Il a plaidé en faveur d’une forme d’intégration des systèmes d’innovation entre les États-Unis et le Canada. Comme beaucoup l’avaient prédit, les économies des États-Unis et du Canada ont continué de s’intégrer. En fait, les deux économies ont évolué de concert au cours des dernières décennies, mais depuis la pandémie, le Canada perd du terrain. D’ici la fin de 2024, l’économie américaine aura progressé de 11 %, tandis que celle du Canada n’aura progressé que de 6 %, ce qui souligne les défis économiques du Canada après la pandémie (The Economist, 2024).

De nouveaux défis surgissent aux États-Unis, où les politiciens discutent de l’imposition de tarifs douaniers, de la restriction des ressources naturelles canadiennes et de la mise en œuvre de politiques bipartites qui subventionnent l’innovation américaine par le biais de programmes de plusieurs milliards de dollars. Les États-Unis ne sont pas le seul pays à s’éloigner des politiques de laissez-faire ; de nombreux gouvernements privilégient désormais le protectionnisme ou relancent les politiques industrielles nationales. Par exemple, l’Union européenne a accru son soutien au secteur privé, tandis qu’en Chine et dans d’autres pays asiatiques, les gouvernements jouent un rôle crucial dans la promotion du développement économique. Ces efforts vont au-delà des infrastructures ou des institutions de travail et englobent un système d’innovation au sens large. 

Depuis que Niosi a commencé à étudier le système d'innovation canadien, l'économie mondiale a radicalement changé. En 1995, le G7 représentait environ 60 % du PIB mondial total (nominal), dont près de la moitié provenait des États-Unis. Selon les données les plus récentes (2023), le G7 représente désormais environ 29 % du PIB mondial (PPA). L'économie du Canada a continué de croître au cours des dernières décennies, mais d'autres pays ont connu une croissance plus rapide.

Indépendamment de ces changements, nous nous trouvons à la croisée des chemins : pour innover et être compétitif, le Canada devrait-il privilégier l’intégration aux États-Unis ou l’expansion de ses réseaux à l’échelle mondiale ? À quel secteur devrions-nous accorder la priorité : la fabrication, l’agroalimentaire, la santé, le numérique ou l’énergie ? Devrions-nous nous concentrer sur l’amélioration des finances, la réduction des formalités administratives, le soutien à la création de brevets ou l’amélioration de l’éducation à divers niveaux ? Devrions-nous mettre l’accent sur les énergies renouvelables ou les combustibles fossiles ? Devrions-nous renforcer le gouvernement fédéral ou donner plus de pouvoir aux provinces, aux régions métropolitaines ou aux gouvernements locaux ? Nos efforts devraient-ils cibler le centre du Canada, l’Ouest ou le Canada atlantique ? Devrions-nous nous concentrer sur les zones urbaines ou les régions semi-rurales ? Il ne s’agit pas de dichotomies simples, mais nous devons reconnaître qu’il n’est peut-être pas opportun ou efficace de se concentrer sur tout.

Nous ne pouvons pas surinvestir dans le financement des entreprises technologiques alors que les lois restreignent le dépôt de brevets. Nous ne pouvons pas soutenir correctement l’agriculture et l’agroalimentaire sans une industrie numérique robuste. Nous ne pouvons pas espérer des industries performantes ou une pensée innovante sans un enseignement secondaire efficace. Des politiques efficaces pour promouvoir nos produits nécessitent une collaboration entre les gouvernements fédéral, provinciaux et locaux. De même, les projets énergétiques, vitaux pour les industries des villes, ne peuvent réussir si les habitants des zones rurales n’en voient pas les avantages. En fin de compte, nous devons renforcer l’ensemble du système national, au lieu de favoriser un acteur par rapport à un autre.

Un système national d'innovation ne prescrit pas les secteurs ou les acteurs à privilégier dans une économie. Il vise plutôt à renforcer les relations entre les acteurs afin de favoriser l'innovation qui profite aux Canadiens. C'est comme un grand film : ce n'est pas la performance individuelle de chaque acteur qui est mémorable, mais les interactions dynamiques entre les acteurs qui créent quelque chose de remarquable. De même, le système national d'innovation du Canada prospère et profite au plus grand nombre lorsque toutes les parties concernées travaillent ensemble en harmonie.


Les références. 

Freedman, L. (2015). Stratégie : une histoire. Oxford University Press.

Niosi, J. (2000).  Le système national d’innovation du Canada. McGill-Queen's Press-MQUP.

The Economist (2024 septembre 30) Pourquoi l'économie canadienne est-elle à la traîne par rapport à celle des États-Unis ? 

Thompson, A., Peteraf, C., Gamble, J., et Strickland, A. (2022). Élaboration et exécution d’une stratégie : la quête d’un avantage concurrentiel. Colline McGraw.