Dirigeante scientifique en chef pour le Canada : aperçus et recommandations

Auteurs):

Alcibiade Malapi-Nelson

Collège Humber, Toronto, Canada

doctorat en philosophie

Alcibiade Malapi-Nelson

Le conseiller scientifique en chef du Canada héritera d'un environnement conflictuel en matière de politique scientifique. Ce paysage dualiste est constitué, d'une part, d'approches de précaution, et d'autre part, d'approches « proactives ». Notre directeur scientifique devra avoir les connaissances et l'expérience nécessaires pour naviguer avec prudence mais fermeté dans cette situation difficile pour l'avancement de la science dans notre pays.

Une approche de précaution est la position par défaut dans la politique scientifique concernant les conséquences prévisibles (et imprévisibles) – médicales, sociales et politiques. Les positions de précaution tendent à souligner les dangers potentiels des nouvelles voies de recherche scientifiques et technologiques, appelant à ralentir ou à arrêter les recherches jusqu'à ce que les effets secondaires soient mieux connus. En réponse à cela, de nombreux chercheurs ne se sentent pas à l'aise avec une prétendue « bureaucratie » absente des environnements de recherche à l'étranger. De nombreux scientifiques, conscients de l'absence de telles réglementations dans d'autres environnements scientifiques géographiques, estiment que ces prétendues contraintes excessives paralysent leurs recherches, affectent négativement les développements potentiels et placent en général le Canada (et en fait, ce côté du monde) dans une situation de désavantage concurrentiel. Certains envisagent de déplacer leurs recherches vers d'autres environnements moins accablés par des politiques « hostiles à la découverte ». En conséquence, le dialogue entre la science de pointe et les politiques publiques risque de s'arrêter. Un cas récent et éclairant est l'édition de la lignée germinale de l'ADN humain par des chercheurs chinois en mai 2015 : une ligne de recherche interdite dans la plupart des sociétés occidentales en raison de ses conséquences héréditaires - la modification ne meurt pas avec le sujet, mais est transmise à sa progéniture. – et dont la publication a été rejetée par les revues Nature et Science. 1

Un aspect de la réaction contre le contrôle se manifeste dans les attitudes radicalement libertaires concernant l'intervention de l'État dans - et la réglementation de - une telle recherche scientifique potentiellement perturbatrice. Pour compliquer les choses, il semble que dans les environnements scientifiques et technologiques, autant qu'en politique, des individus radicalement libertaires finissent par être absorbés par de puissantes entreprises. Ces méga-entités commerciales peuvent à leur tour finir par percevoir des redevances exclusives pour des biens qui pourraient s'avérer nécessaires à la simple survie humaine. Quel genre de pouvoir exercerait L'Oréal (étant donné qu'il détient maintenant le brevet de la meilleure peau artificielle 2 ) en cas de radiation environnementale généralisée qui rendrait la greffe de peau aussi nécessaire que l'alimentation ? Compte tenu d'un « soi » pharmaceutique et « neurochimique » de plus en plus normalisé 3  (où les activateurs cognitifs et les modulateurs de la personnalité deviennent le nouveau défaut attendu), quel type d'influence l'entreprise qui les produit peut-elle exercer sur le tissu même de la société ? Il n'est pas nécessaire de revendiquer une quelconque allégeance à la notion d'un État qui surveille et contrôle pour voir le danger de laisser de tels domaines de la vie à la merci d'organisations à but lucratif.

Ce paysage polarisé, où nous avons d'une part une attitude profondément libertaire hostile à la régulation de la science (comprise comme une intrusion de l'État dans le domaine ostensiblement politiquement libre de la science) et d'autre part, une position de précaution hostile à la recherche exploratoire en raison de son possible conséquences négatives (placer potentiellement la science et la technologie canadiennes dans une position désavantageuse dans un futur proche par rapport à des sociétés moins réglementées), ne peuvent pas continuer sans contrôle si nous voulons espérer que le progrès scientifique au Canada ne connaîtra pas un arrêt paralysant. En ce qui concerne les implications éthiques à la fois des démarches scientifiques et des bénéfices tirés de leurs applications technologiques, cette impasse n'aide pas non plus.

Le conseiller scientifique en chef du Canada pourrait vouloir explorer une troisième alternative, celle qui favoriserait une approche de prise de risque néanmoins soutenue par l'État. En effet, elle pourrait vouloir examiner les conditions de possibilité d'un cadre sociétal large avec un contrôle étatique fort (suivant le modèle scandinave) mais promouvant toujours des approches de la science respectueuses du risque. Cela peut même contribuer à renverser le clivage gauche-droite, car les sociétés d'État-providence ont généralement tendance à être fortement prudentes et les sociétés favorables au marché ont tendance à être libertaires et à prendre davantage de risques. Ce clivage gauche-droite désuet se manifeste également dans un autre contexte important. La possibilité d'un rapprochement avec les militaires est une position habituellement mal vue dans les milieux libéraux mais promue chez les libertaires conservateurs. Cependant, surmonter ce dualisme, inclusif à cette ouverture, pourrait être l'exploration des objectifs généralement à long terme présents dans la pensée militaire comme potentiellement utiles pour un financement scientifique réglementé, libéré du besoin des entreprises pour les résultats immédiats, la marchandisation et la commercialisation favorisées dans milieux libertaires.

 

1Liang, P. et al. (2015). « Édition de gènes médiée par CRISPR/Cas9 dans les zygotes tripronucléaires humains », Protéine & Cellule 6 (5): 363-372.

 

2Carvajal, D. (2007, 16 novembre). « Faire pousser de la peau artificielle pour changer la façon dont les entreprises de cosmétiques testent les produits », New York Times.

 

3Rose, N. (2009). La politique de la vie elle-même : biomédecine, pouvoir et subjectivité au XXIe siècle. Princeton: Princeton University Press.