Bureaucratie et innovation : Ennemis mortels ou amants perdus depuis longtemps ?

Auteurs):

Emilie Krispis

Munk School of Global Affairs and Public Policy de l'Université de Toronto

Candidat à la maîtrise en politique publique

Un portrait d'une femme blanche aux cheveux bruns courts et un chemisier rouge.
Clause de non-responsabilité : La version française de cet éditorial a été auto-traduite et n’a pas été approuvée par l’auteur.

Comment la Société canadienne d'innovation (CIC) peut renforcer notre secteur de l'innovation 

Lors d'un récent événement de réseautage, j'ai été pris dans une conversation avec un innovateur en technologies propres dans la section des transports. Après une conversation perspicace de trente minutes sur les lacunes en matière d'accessibilité dans le réseau de transport de Toronto, ils ont conclu que leur projet ne se concrétiserait jamais au Canada, même s'il attirait beaucoup d'attention à l'échelle internationale. j'étais perplexe; si leurs revendications étaient valides, ils ont proposé une solution nette zéro qui pourrait compléter le système actuel en place à une fraction du coût des autres idées de transport d'énergie verte sur le marché. Lorsqu'on leur a demandé quand ils espéraient commercialiser leur produit, ils ont répondu : « il n'y a pas de soutien gouvernemental pour le développement. La bureaucratie ne soutient pas les perturbateurs. *

Il existe une longue liste de tentatives bureaucratiques au Canada pour alimenter notre secteur de l'innovation, mais notre penchant pour les programmes d'innovation a été tout au plus à moitié réussi. L'annonce par le gouvernement du Canada, plus tôt cette année, d'un plan directeur pour la Société canadienne d'innovation (CIC) – une « organisation axée sur les résultats avec un mandat clair et ciblé pour aider les entreprises canadiennes de tous les secteurs et de toutes les régions à devenir plus innovantes et productives » – pourrait être le virage expérimental en R&D nécessaire pour enfin marier les priorités bureaucratiques et commerciales. 

Il y a un conflit historique dans la juxtaposition entre la bureaucratie et l'innovation. Viktor A. Thompson a écrit à cet effet en 1965, soulignant la croyance commune des scientifiques du comportement selon laquelle les formes bureaucratiques d'organisation étaient très efficaces mais avaient une faible capacité d'innovation. Il a fait valoir que cela était en partie dû au fait que les entreprises centraient leurs systèmes de décision et de contrôle de manière centrée sur les processus. Pourtant, l'innovation concerne les personnes : ceux qui la rendent possible et ceux qui en bénéficient. La Société canadienne de l'innovation pourrait bien servir de pont entre la bureaucratie – la machine gouvernementale du public – et les innovateurs commerciaux – dont les décisions de marché sont incitées par le public. 

Le nœud de ce paradigme bureaucratie-innovation se reflète dans la réaction des Conseil des innovateurs canadiens, un groupe composé de PDG d'entreprises technologiques canadiennes en pleine croissance. Bien qu'ils se soient félicités de l'annonce, ils ont souligné l'importance d'établir le mandat de l'agence et son leadership. Comme l'a noté le directeur général du groupe, Benjamin Bergen: "Le PDG et le conseil d'administration devraient vraiment provenir de l'industrie et comprendre comment prendre une idée, la convertir en propriété intellectuelle, puis commercialiser cette idée." Il a également noté que la sélection d'une personne de l'écosystème des incubateurs/accélérateurs ou d'un bureaucrate n'aiderait pas le Canada à gravir les échelons de l'innovation de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Ce n'est pas seulement une question de contrôle; il s'agit de processus. Quiconque est à la tête de cette initiative doit comprendre le marché dans lequel l'innovation opère et comment combiner les opportunités avec les exigences structurelles d'une organisation soutenue par le gouvernement. Ce n'est pas une somme nulle comme l'a illustré M. Bergen. Le CIC devrait ancrer son leadership dans la collaboration en s'appuyant sur sa capacité de réception. En d'autres termes, les personnes à la tête de l'agence auraient non seulement le pouls de l'industrie de l'innovation, mais seraient également habilitées par une structure et un partenariat gouvernementaux. En créant une structure organisationnelle dédiée centrée sur les leaders de l'industrie, nous permettons à l'espace pour le développement créatif et le secteur expérimental de s'épanouir. Cela ne limite pas le fait que le CIC devrait également utiliser les connaissances institutionnelles au sein de sa direction, en particulier en ce qui concerne les processus décisionnels gouvernementaux. Le CIC pourrait échapper à la nature transitoire de ses prédécesseurs en trouvant un équilibre : une approche tortue et une approche lièvre peuvent faire ressortir le meilleur des deux approches. 

Le Canada n'est pas le premier pays à faire le saut logique vers des agences d'innovation centrées sur le processus d'expérimentation. Au Royaume-Uni,  Innover UK aide les entreprises à se développer via « le développement et la commercialisation de nouveaux produits, procédés et services ». L'énoncé de mission de l'agence reconnaît que leur travail se situe dans un « écosystème d'innovation agile » et adapte ses programmes et ses fonds en conséquence. Le plan directeur du CIC met également l'accent sur l'importance de bâtir ses opérations autour de la nature agile de l'innovation. Pour citer directement le document, le CIC « fonctionnera avec plus de souplesse que la série de programmes existante et avec la capacité d'adapter rapidement sa programmation pour relever les nouveaux défis et saisir les opportunités qui se présentent aux entreprises canadiennes ». Par conséquent, en adoptant une approche de gouvernance expérimentale, la structure bureaucratique du CIC pourrait répondre aux demandes de flexibilité de l'industrie de la R&D. La bureaucratie est souvent associée au concept d'innovation ou d'étouffement créatif. Cela s'explique en partie par le fait que l'innovation est sensible aux changements rapides des demandes ou des idées. Pourtant, dans le cas présent, le CIC cherche à (1) fonctionner de manière indépendante et (2) limiter son influence dans la sphère des services de financement et de conseil. En créant l'agence des mesures réactionnaires, le Canada accorde la priorité à l'accessibilité de fonds constants pour les entreprises canadiennes et, plus important encore, reconnaît leurs intérêts volatils. En cas de succès, le CIC pourrait illustrer une politique d'innovation où les sphères de la créativité de l'innovation et les réglementations bureaucratiques coexistent. 

Le dilemme de l'innovateur existe depuis longtemps dans le secteur public canadien; Une compréhension mutuelle des différences irréconciliables entre notre bureaucratie et les innovateurs. Cependant, les politiques d'innovation ne doivent pas être réduites aux deux paramètres « agile » et « stable ». Ce qui compte, c'est la capacité de la configuration d'une organisation (et non celle d'un individu) et sa capacité à évoluer. Et le CIC, en son cœur, est prêt à "expérimenter différentes approches". Si l'agence peut tirer parti de la productivité et de la croissance économique du pays grâce à des investissements commerciaux dans la R&D et l'adoption de technologies, nous pourrions encore assister à un rééquilibre dans le secteur de l'innovation. Et pour cela, le Canada et ses perturbateurs n'en seront que meilleurs.

* Pour des raisons de confidentialité, le nom de la personne et de l'entreprise ont été retirés de cet éditorial