COVID-19 : qui a peur du partage de données ?
Auteur:
Michel Beauvais
Bartha Maria Knoppers

Les urgences de santé publique créent un nouveau contexte dans lequel les sociétés doivent concilier des priorités concurrentes. En effet, en tant que société libérale ayant à cœur les droits individuels, nous sommes confrontés à des questions sur la manière de faire avancer nos intérêts collectifs et partagés dans la lutte contre la pandémie mondiale. Les urgences de santé publique confèrent à l'État des pouvoirs distincts prévus dans des lois adoptées de longue date par des sociétés libres et démocratiques. Pourtant, ces pouvoirs ne prévoient généralement de traiter que les préoccupations les plus immédiates, telles que l'ordre public.
Dans le cadre de cette pandémie, nous avons également une occasion unique de développer et d'encadrer davantage les droits de l'homme souvent négligés : la science et ses avantages, la santé et la non-discrimination dans les services de santé. Ces droits sont plus importants que jamais dans notre situation actuelle. Donner effet aux idées ancrées dans ces droits nécessite non seulement de la recherche, mais également l'accès aux données de recherche en santé publique déjà existantes, aux données génétiques et aux données environnementales et sociodémographiques, sans parler des données cliniques émergentes sur la COVID-19. À qui appartiennent ces données ? A quoi doit-elle ou peut-elle servir ? Comment respecter à la fois les intérêts individuels et collectifs ?
Lors d'une pandémie - une crise sanitaire mondiale - le partage des données individuelles pour le bien public est indispensable. Les virus et autres agents pathogènes ne connaissent pas de frontières et nos données de santé non plus. La recommandation de l'OCDE sur la gouvernance des données de santé de 2017 soulignait déjà la nécessité d'une plus grande collaboration internationale et du partage des données de santé. L'impératif éthique d'assurer la coordination et la collaboration n'a fait que s'intensifier. À cette fin, le Wellcome Trust a appelé la communauté scientifique à veiller à ce que les données et les recherches liées à la pandémie de COVID-19 soient partagées rapidement et ouvertement.
Andrea Jelinek, présidente du comité européen de la protection des données, a publié une déclaration indiquant que les règles de protection des données n'entravent pas les réponses à la pandémie. À cette fin, les règles européennes en matière de protection des données prévoient la possibilité de collecter et de partager des données à des fins de santé publique et aux fins des intérêts vitaux d'un individu. Certains droits que les individus ont en ce qui concerne les données personnelles peuvent également être restreints dans ces circonstances sans précédent, permettant ainsi l'utilisation des données pour les besoins de santé publique avec un minimum de perturbations. Malgré cela, le partage des données peut ne pas se faire aussi librement que nécessaire lorsqu'une collaboration internationale est nécessaire. L'accent mis par la législation européenne sur la protection des données, quel que soit leur emplacement dans le monde, signifie que les protections doivent être assurées, sauf dans des circonstances très spécifiques. Par exemple, les intérêts vitaux d'un patient individuel ne sont pas considérés comme étant favorisés lorsque des données sur cet individu sont transférées à l'échelle internationale pour une recherche biomédicale générale dont on ne s'attend pas à ce qu'elle profite immédiatement au patient individuel. Néanmoins, on reconnaît généralement la nécessité d'une approche flexible de l'équilibre des droits et des intérêts dans les circonstances actuelles.
Mais qu'en est-il alors du Canada? Ici, la mosaïque de lois provinciales sur la protection des données et la Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) ont peut-être involontairement créé des obstacles à l'accès direct aux données. Un exemple de cela est lorsque les chercheurs en maladies infectieuses et respiratoires ont des difficultés à accéder aux données de santé individuelles codées de manière sécurisée, y compris celles détenues par les agences de santé publique elles-mêmes ! De plus, bien que la Colombie-Britannique ait temporairement autorisé les organismes de soins de santé à transférer des données à l'extérieur du Canada à certaines fins liées à la COVID, cela ne s'étend pas clairement aux recherches en cours. Il est essentiel de préserver la protection de la vie privée dans les flux de données transfrontaliers, mais on peut se demander si de telles interdictions ne sont pas malavisées en ne fournissant pas de mécanismes de transfert flexibles pour les transferts de données vers des pays dotés de normes de protection des données équivalentes ou plus solides.
En ces temps plus que jamais, nous devons nous tourner vers l'équilibre des intérêts qu'exige la loi sur la protection de la vie privée et de la protection des données. Dans cette veine, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a indiqué son engagement envers une « approche flexible et contextuelle » qui protège également la vie privée des Canadiens. Les lois fédérales et provinciales sur la protection de la vie privée ont pour base l'idée d'un équilibre, comme celles qui exigent que l'intérêt public à mener des recherches dépasse l'intérêt public à protéger la vie privée. Dans nos circonstances actuelles, il est difficile de ne pas voir la balance pencher en faveur de la divulgation de renseignements personnels sur la santé pour une recherche inestimable.
Le plan du gouvernement fédéral visant à « moderniser » la LPRPDE sera une étape importante pour la collaboration nationale et internationale en matière de recherche. Compte tenu de l'accent mis par le gouvernement fédéral sur les notions de consentement et de contrôle dans sa Charte numérique, nous espérons qu'il n'oubliera pas comment les modifications du consentement au traitement des données peuvent affecter la disponibilité des données personnelles à des fins de recherche. Dans cet ordre d'idées, il y a lieu de s'inspirer largement des principes européens de protection des données qui reconnaissent qu'un large consentement convient au traitement de données à caractère personnel à des fins de recherche.
Le moment est venu d'avoir de grandes idées qui non seulement nous aident à traverser aujourd'hui et demain, mais qui jettent également les bases d'une société plus partagée une fois la pandémie terminée. La mise en place de la nouvelle Biobanque québécoise COVID signale un engagement envers la poursuite des connaissances en facilitant les partenariats de recherche à l'échelle nationale et internationale. Comme l'ont montré ces dernières semaines, l'heure est à la citoyenneté et à la solidarité. En effet, ce n'est qu'en travaillant ensemble que nous pourrons tous avancer.