Faire face au paradoxe de l'ouverture pour renforcer la résilience de la bioéconomie canadienne
Auteur:
Fabien Rohden
Synbio Canada
Responsable de la politique scientifique
Département de chimie et de biochimie de l'Université de Lethbridge
Doctorant
Wieden Lab au Département de microbiologie de l'Université du Manitoba
Doctorant
Dr Ben Scott
Synbio Canada
Président
Engagement dans le développement des affaires et les partenariats ; Concordia Genome Foundry à l'Université de Concordia
Conseiller
Les multiples crises mondiales qui se sont produites au début de cette décennie partagent un paradoxe commun :
Le COVID-19 a montré comment un monde interconnecté favorise la propagation des virus et à quel point nos chaînes d'approvisionnement sont vulnérables. Dans le même temps, les collaborations de recherche internationales et le partage d'informations ont créé de nombreux vaccins et traitements à une vitesse sans précédent.
L'invasion de l'Ukraine et la crise alimentaire émergente qui a suivi mettent à nu l'extrême dépendance de nombreux pays vis-à-vis du pétrole russe ou des importations de céréales ukrainiennes. Encore une fois, le seul moyen efficace de réduire à la fois la guerre et ces pénuries d'approvisionnement semble être une collaboration internationale plus intense et un effort concerté sur ces questions.
Le paradoxe sous-jacent est que l'ouverture entre les nations est à la fois la cause et la solution de ces crises.
Le paradoxe entre ouverture et autarcie impacte aussi La bioéconomie du Canada. La bioéconomie est la vision d'utiliser la biomasse et la biotechnologie dans tous les secteurs de l'économie, en remplaçant les produits actuels par des alternatives biosourcées et créer de nouveaux emplois le long du chemin. En tant que deuxième plus grand pays au monde, avec des secteurs forestiers et agricoles massifs, le Canada obtient d'excellents résultats en termes de biomasse disponible qui pourrait être utilisée pour créer des produits biosourcés plus précieux. En matière de biotechnologie, le Canada fait face au défi que les personnes hautement qualifiées et les entreprises en démarrage migrer aux États-Unis plus que l'inverse. Bien que le Canada profite considérablement de sa proximité géographique et culturelle avec les États-Unis, le Canada doit faire un effort concerté pour accroître l'entrée et la rétention de candidats nationaux et internationaux. diplômés sur le marché du travail canadien.
La biomasse et les gens talentueux sont disponibles au Canada depuis longtemps. C'est l'essor des sciences génomiques qui est le principal moteur de la bioéconomie. Les sciences génomiques examinent tous les gènes d'un organisme, qu'il soit humain, animal, végétal ou micro-organisme, ainsi que la façon dont ils interagissent les uns avec les autres et avec l'environnement de l'organisme. Le Canada l'a identifié très tôt et est déjà un leader mondial dans ce champ.
Comme les sciences génomiques sont littéralement l'ADN de la bioéconomie, la question de l'ouverture versus l'autarcie doit être soigneusement examinée par la communauté scientifique et par les décideurs politiques. La libre disponibilité des informations génomiques et des recherches correspondantes est un élément clé de la R&D. Les données génomiques ouvertes créent elles-mêmes un effet multiplicateur, ce qui signifie que plus il y a d'informations et de recherches génomiques disponibles, plus il est possible de créer des connaissances supplémentaires, qui à leur tour peuvent être réutilisées.
Bien que l'ouverture de l'information génomique soit un grand avantage, il existe également des arguments solides pour réduire la disponibilité ouverte.
- La propriété intellectuelle (PI), dont le but principal est de protéger la technologie qu'une entreprise a développée. De même, les éditeurs et les bases de données d'informations génomiques peuvent restreindre l'accès à leurs informations derrière un mur payant en tant que source de revenus pour la conservation des informations qu'ils contiennent et créent.
- Droits de propriété intrinsèques, qui peuvent entrer en conflit avec l'accès ouvert et la propriété intellectuelle. Les informations génomiques des humains, principalement des patients, appartiennent aux personnes elles-mêmes et n'est peut-être pas dans leur intérêt d'avoir leurs informations génomiques librement disponibles en ligne. D'autre part, lorsque l'information génomique provient de plantes et d'animaux de l'environnement, les droits de propriété du pays et des communautés dont le territoire est à l'origine de l'information génomique doivent être respectés. Cette notion fait partie du Convention on Biological Diversity et son protocole de Nagoya ci-joint, où les amendements dus aux développements des sciences génomiques font l'objet d'un débat houleux.
- Sûreté et sécurité, car les informations génomiques ont un caractère à double usage. Les quantités massives de données génomiques générées nécessitent des approches d'apprentissage automatique pour les interpréter. Les informations à double usage peuvent être extraites ou nouvellement générées à partir de ces informations accessibles au public. Cela a été récemment illustré dans le domaine de la découverte de médicaments, où l'information publique sur la toxicité chimique a été utilisé pour générer des armes biochimiques plus puissantes. De plus, avoir les informations génomiques de l'ensemble de la population d'un pays, ou seulement de ses principaux dirigeants, sur une base de données en libre accès pourrait être utile aux acteurs malveillants. Pour la même raison, le président français Macron, comme d'autres dirigeants mondiaux, a refusé de passer un test Covid russe lors de sa visite à Moscou. Avec la vitesse vertigineuse des progrès de l'apprentissage automatique et des sciences génomiques, il est crucial de déterminer quelles informations sont publiées et qui y a accès.
La façon dont les informations génomiques doivent être partagées est une question complexe couvrant des sujets éthiques allant de la propriété intellectuelle à la vie privée, à la santé humaine et environnementale, à la défense nationale. Le Canada a la chance d'identifier et d'encourager le partage de l'information génomique là où c'est avantageux, tout en assurant une protection solide de l'information génomique au besoin. L'élaboration de politiques au niveau national au cours des premières étapes de la bioéconomie peut prévenir les dépendances de chemin où les informations génomiques qui devraient rester privées sont publiques et vice versa.
La bioéconomie s'appuie également sur une infrastructure biotechnologique, composée d'installations hautement spécialisées et de produits physiques (enzymes, matériel génétique, matières premières, etc.)
Toute cette chaîne d'approvisionnement doit être analysée pour les vulnérabilités et les dépendances étrangères. L'idée n'est pas de découpler complètement, mais de trouver des moyens de renforcer la résilience. Il s'agit d'un objectif déclaré de La stratégie de biofabrication du Canada, ce qui a déjà conduit à d'importants investissements dans les infrastructures produire de nouveaux médicaments et vaccins à la suite de la pandémie de COVID-19.
Mais il existe d'autres intrants clés dans la bioéconomie dont il faut tenir compte. Par exemple, le Canada n'a pas d'entreprise nationale ni de plateforme nationale pour synthèse d'ADN à grande échelle, qui est une ressource physique cruciale dans la bioéconomie. Et à mesure que l'agriculture cellulaire se développe, qui promet des produits laitiers et carnés sans source animale, milieux de croissance et protéines personnalisées nécessaires à la production de ces produits alimentaires nécessiteront des sources fortement intégrées aux chaînes d'approvisionnement canadiennes. Toute perturbation potentielle de la source de ces composants clés équivaut à la perte par les agriculteurs canadiens de l'accès à l'eau et aux engrais pour leurs cultures.
Le paradoxe de l'ouverture n'est pas facile à résoudre.
Il représente plutôt un cadre permettant aux décideurs et aux scientifiques canadiens de structurer les approches de deux aspects clés de la bioéconomie : l'ouverture de l'information et la résilience des infrastructures. À l'instar des révolutions industrielles précédentes, la bioéconomie mondiale prendra de l'expansion, peu importe ce que font les décideurs canadiens. Cependant, les décisions stratégiques d'aujourd'hui peuvent déterminer si le Canada sera un chef de file mondial de la bioéconomie ou simplement un simple suiveur. Trouver le juste équilibre entre l'ouverture et l'autarcie définira la bioéconomie du Canada pour les années à venir.