Le Canada émergent : Relancer la recherche scientifique en langue française au Canada
Auteur:
Valérie Bradford

Crédit : Bernard Thibodeau, Services photographiques de la Chambre des communes
En juin 2023, le Comité de la science et de la recherche a déposé un rapport intitulé « Un nouvel élan à la recherche et la publication scientifique en français au Canada ». En tant que membre du Comité, j’ai eu le privilège d’entendre divers témoins partager leur point de vue et raconter leur expérience sur le monde en constante évolution de la recherche scientifique et sur le lien entre cette évolution et le déclin de la recherche produite en français.
Au sortir de cette étude, j’ai eu l’impression qu’il était important de trouver un équilibre entre la protection de l’enseignement, de la recherche et de la publication en français et la réalité que l’anglais est devenu la langue mondiale la plus répandue qui permet un échange international de connaissances. Même dans les pays non anglophones, l’anglais domine dans les publications scientifiques. Au cours des dernières années, le nombre de publications dans des langues comme l’italien, l’espagnol, l’allemand et le japonais a fortement diminué. Cela montre que le français n’est pas la seule langue à être remplacée par l’anglais dans les publications scientifiques. Même si cette tendance semble inquiétante, elle peut s’expliquer par le fait que les chercheurs choisissent naturellement de publier les résultats de leurs recherches en anglais pour qu’un plus grand nombre d’universitaires puisse en prendre connaissance. Cette visibilité accrue dans la communauté scientifique leur donne plus de possibilités en matière de subventions et d’avancement professionnel.
Cependant, la tendance à la baisse de la recherche en français pose des problèmes réels pour la communauté francophone du Canada et pour le Canada dans son ensemble. La diminution de la recherche en français entraîne une baisse de l’enseignement supérieur en français et participe à la mise en péril de la langue française au Canada. Les chercheurs francophones, ainsi que tous les autres chercheurs, devraient avoir le choix de publier le fruit de leurs travaux dans leur langue maternelle. De plus, les recherches dans la langue de la région où elles sont menées tendent à être plus précises et inclusives en ce qui concerne les questions locales. Par exemple, le manque de recherche en français au Canada fait en sorte que l’on fait abstraction de divers problèmes qui touchent les communautés francophones, ce qui explique le manque de compréhension des politiques et de solutions propres à ces communautés.
Le Canada est dans une position unique dans ce milieu de la recherche en constante évolution, car contrairement à de nombreux autres pays ayant plusieurs langues officielles, l’une des langues officielles du Canada est l’anglais, la langue qui domine le discours scientifique mondial. Il est donc primordial de reconnaître la relation de cause à effet déséquilibrée qui existe par rapport à la langue de publication de la recherche scientifique dans notre pays en raison de la mondialisation de la langue anglaise. Nous ne pouvons rien faire face à l'anglicisation du monde et nous ne devons pas oublier que ce qui aide la communauté mondiale à échanger des connaissances et à travailler ensemble pour atteindre des objectifs communs, c’est le fait qu’elle parle une même langue. Je crois que pour donner un nouvel élan à la recherche et à la publication scientifique en français partout au Canada, nous devons continuer de soutenir nos chercheurs francophones.
La Loi sur les langues officielles indique clairement qu’il est injuste pour le gouvernement d’insister pour que la recherche soit produite dans l’une ou l’autre des langues officielles ; nous devons respecter les chercheurs francophones qui choisissent de publier en anglais, quelles que soient leurs raisons.
Une stratégie scientifique pancanadienne qui appuie les efforts scientifiques en français donnerait de meilleurs résultats qu’un simple soutien à la communauté canadienne-française. La diversification des représentants permettrait de mieux comprendre l’histoire canadienne, les domaines liés au STIM et notre identité culturelle commune, mais distincte. Elle renforcerait les liens culturels qui nous unissent, tout en renforçant le patrimoine canadien-français qui a contribué à façonner notre pays. Un plan stratégique visant à renforcer les efforts, la visibilité et l’incidence de nos chercheurs canadiens-français, tant à l’échelle mondiale qu’au pays, protégerait l’équilibre, la vivacité et la dualité culturelle dont le Canada est fier.
Pour appuyer les chercheurs francophones, nous pourrions notamment donner suite aux 17 recommandations du Comité de la science et de la recherche ; plus précisément, nous pourrions nous assurer que les revues qui prétendent être bilingues publient effectivement des articles en anglais et en français, nous pourrions fournir un financement permanent aux revues francophones et nous pourrions offrir un soutien à la traduction aux chercheurs francophones afin que leur travail soit publié en anglais et en français. Certains peuvent considérer la publication du même article en français et en anglais comme de l’auto-plagiat; par conséquent, nous devons poursuivre les discussions au sein de la communauté scientifique afin de veiller à la mise en place de lignes directrices à même de garantir l’authenticité du travail. De plus, pour nous assurer que les Canadiens d’un océan à l’autre peuvent apprendre le français, le gouvernement fédéral devrait travailler avec les provinces et les territoires pour veiller à ce que le français langue seconde continue d’être enseigné et financé adéquatement.
L’absence de rapports scientifiques et de recherches universitaires en français dans le domaine des STIM fait sentir ses effets sur les communautés francophones. La compréhension historique de sujets qui profitent aux communautés locales et la recherche menée dans ces communautés sur ces sujets permettent l’unité communautaire et la transmission de l’héritage culturel, et contribuent à une meilleure compréhension du fonctionnement du monde. Sans recherche locale, une culture cesse de se définir par ce qu’elle est et commence à se définir par ce qu’elle n’est pas. Les communautés canadiennes-françaises sont uniques. Leur ajout à la mosaïque canadienne est indéniable, pourtant, elles sont toujours moins bien représentées au sein du vaste monde qui les relie à leur patrimoine.
Les Canadiens français sont fiers de leur héritage – ils sont fidèles à leur identité culturelle et fiers de leur histoire unique. Une stratégie pancanadienne visant à appuyer les efforts scientifiques en français permettrait aux communautés francophones et à leurs jeunes de se connecter à quelque chose qui leur est propre. Elle renforcerait les liens entre les chercheurs francophones locaux et transmettrait les connaissances locales à l’étranger afin de contribuer à l’élargissement de la communauté scientifique. Protéger cette unicité franco-canadienne, y investir et l’équilibrer permettrait aux Canadiens d’un océan à l’autre de profiter de cette mosaïque culturelle commune, d’y contribuer et de profiter des avantages qu’elle offre. La poursuite d’une stratégie pancanadienne pour la recherche scientifique en français permettra au Canada de demeurer un acteur de poids dans la recherche scientifique mondiale, tout en demeurant engagé à l’égard de sa dualité culturelle et linguistique.
La protection et la présence de la langue française au Canada sont des aspects essentiels de notre identité nationale et font partie de l’identité culturelle personnelle de nombreux Canadiens. Ce genre de discours est essentiel pour assurer la protection continue de la langue française au Canada. Je tiens à remercier le Centre sur les politiques scientifiques canadiennes pour son important travail, qui consiste à poursuivre la discussion et à attirer l’attention sur cette question de premier plan.