Le Canada a besoin d'une centrale de R&D pour alimenter la croissance économique

une bannière avec le titre "Le Canada a besoin d'une centrale de R&D pour alimenter la croissance économique" avec des usines stylisées et une photo d'un homme blanc

Auteurs):

Robert Asselin

Conseil canadien des affaires

Vice-président principal, Politiques

Munk School of Global Affairs and Public Policy de l'Université de Toronto

Senior Fellow

Il y a soixante ans, le président John F. Kennedy a prononcé un discours audacieux à l'Université Rice à Houston. Il a mis au défi ses compatriotes américains de diriger l'exploration spatiale et d'être le premier pays à faire atterrir un homme sur la lune. Le discours a conduit à une mobilisation remarquable des scientifiques, des investissements du secteur privé et à une réorganisation de la politique industrielle américaine soutenue par des organisations axées sur la recherche industrielle telles que la NASA et la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA).

Le progrès scientifique est, a été et, plus encore, continuera d'être un déterminant économique clé de notre avenir. Une caractéristique déterminante de la croissance économique moderne est l'application systématique de la science pour faire progresser la technologie. En termes simples, la traduction du capital intellectuel et des idées en production et en croissance économiques sera un déterminant clé de la réussite des nations dans l'économie moderne. Les décideurs politiques doivent reconnaître que les connaissances scientifiques et les institutions fondées sur la science sont plus que de simples biens publics ; ce sont des catalyseurs économiques essentiels dans un monde de concurrence géopolitique accrue.

Par conséquent, les façons dont nous faisons de la science - comment nous donnons à nos meilleurs scientifiques et chercheurs les moyens d'effectuer un travail de pointe sur les défis les plus urgents auxquels nous sommes confrontés, et comment nous facilitons le transfert de ces connaissances vers l'économie réelle - doivent devenir au cœur de la façon dont nous conceptualisons notre potentiel de croissance en tant que pays. Il est essentiel que le Canada modifie ses politiques sous-jacentes pour mieux soutenir le développement et le progrès technologiques si nous voulons être compétitifs dans les nouveaux domaines de croissance et de productivité hautement précieux et hautement concurrentiels. Cela nécessite une nouvelle réflexion sur la manière dont nous menons notre politique industrielle et sur les types d'institutions dont nous avons besoin pour y parvenir. Par-dessus tout, cela nous oblige à veiller à ce que la recherche se traduise par des avantages économiques.

L'application moderne de la science et de la technologie est la nouvelle frontière de la compétitivité économique. De nombreux pays à revenu élevé, dont l'Allemagne, le Japon, la Corée, Singapour et, dernièrement, la Chine, comptent depuis longtemps sur les politiques industrielles pour accélérer leur croissance économique. Aux États-Unis, l'adoption récente de l'Inflation Reduction Act et de la CHIPS and Science Act est assez conséquente : la plus grande économie du monde (et le plus grand partenaire commercial du Canada) a une politique industrielle stratégique claire pour la première fois depuis la guerre froide. Une injection de centaines de milliards de dollars au cours de la prochaine décennie dans des programmes ciblés réorganisera le modèle de politique scientifique américaine en place depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La nouvelle orientation de la politique industrielle américaine reflète une intervention gouvernementale plus large au-delà de la R&D pour soutenir le développement technologique de l'idée au marché.

La structure organisationnelle des sciences et de la technologie du Canada ne s'est pas adaptée au 21e siècle. Notre capacité à entreprendre des recherches industrielles à grande échelle est presque inexistante et nos mécanismes de transfert de technologie n'ont pas suivi le rythme de l'évolution de la création de connaissances. Nous misons encore trop sur l'innovation incrémentale ou les valeurs sûres. De plus, nos forces de recherche (surtout en sciences sociales) ne correspondent pas à nos avantages et à nos besoins industriels.

Le modèle scientifique indépendant que nous avons adopté après la Seconde Guerre mondiale ne fournit pas un cadre adéquat pour le paradigme économique d'aujourd'hui. Dans ce modèle, on supposait que le transfert de la recherche publique aux entreprises privées serait automatique. Aujourd'hui, nous savons que le financement de la recherche fondamentale n'est pas un précurseur suffisant pour de meilleurs résultats en matière d'innovation et une productivité accrue. La traduction des connaissances scientifiques générées dans les universités en progrès industriels qui améliorent la productivité s'est avérée plus difficile à réaliser dans la pratique que prévu. L'influence académique dans des revues savantes prestigieuses est importante et devrait être encouragée, mais il en va de même pour la création de propriété intellectuelle et la production industrielle.

Nous avons longtemps pensé que la R&D était une innovation. De la R&D au développement en passant par la production, l'application et la diffusion, le chemin de l'innovation est long et difficile. Une politique industrielle intentionnelle nécessite une nouvelle infrastructure institutionnelle pour soutenir l'application moderne de la science et de la technologie dans des industries hautement compétitives et avancées, et une approche axée sur des missions mandatées - et non sur des préférences diffuses motivées par la curiosité.

Le modèle de réussite de la DARPA ne concerne pas seulement les « gadgets » ou « l'innovation de première étape » - c'est-à-dire la génération et la mobilisation d'idées à un stade précoce - mais plutôt parce qu'il considère son rôle comme double : (1) catalyser les percées et (2) les aider à combler à travers le processus d'innovation. C'est

un modèle réussi pour la recherche industrielle appliquée précisément parce qu'il soutient les technologies génériques à chaque étape du continuum de l'innovation. En bref, il s'agit d'apporter une expression commerciale et pratique à l'innovation radicale. 

Les soi-disant «moonshots» (raccourci pour un défi ou un problème qui nécessite une innovation radicale pour le résoudre) peuvent donc apporter une plus grande intentionnalité

à la politique gouvernementale en organisant la science et la technologie et les stratégies d'innovation autour d'un ensemble d'impératifs primordiaux tels que l'atteinte de zéro émission nette ou la recherche de remèdes pour les maladies débilitantes.

Le Canada doit faire face à trois réalités indéniables en ce moment paradigmatique où les gouvernements adoptent de nouvelles stratégies ambitieuses en matière de science et de technologie en général et établissent des agences de projets de recherche avancée en particulier.

Premièrement, les entreprises rationnelles n'investiront pas dans des technologies de rupture, aussi importantes soient-elles, si elles impliquent des niveaux de risque élevés et des délais de R&D longs et incertains. Cela nécessite un rôle plus actif du gouvernement. Internet, le GPS, l'écran tactile et Siri sont le résultat de l'interaction entre les secteurs public et privé pour résoudre un problème, qu'il s'agisse de faire communiquer des satellites dans le cas d'Internet ou de mieux viser des missiles dans le cas de systèmes GPS. . Des vaccins à ARNm auraient-ils été développés sans le financement de démarrage de la BARDA et de la DARPA ? Y a-t-il suffisamment d'incitatifs dans le cadre actuel des conseils subventionnaires de la recherche pour financer des idées et des technologies révolutionnaires? La réponse à ces deux questions est sans aucun doute non. CARPA doit être en grande partie une recherche « axée sur l'utilisation », c'est-à-dire une recherche visant à résoudre un problème pratique avec des technologies de pointe en résolvant la défaillance du marché et les lacunes de l'écosystème d'innovation du Canada en recherche industrielle appliquée.

Deuxièmement, les entreprises ne maximiseront pas l'innovation si elles travaillent de manière isolée. Ils doivent collaborer étroitement avec les fournisseurs, les clients, les universités et les instituts de recherche pour parvenir à la coordination nécessaire au développement et à la commercialisation de technologies de pointe. De telles interactions demandent du temps, de l'engagement et des ressources.

Troisièmement, l'une des principales raisons pour lesquelles le Canada connaît des difficultés en matière de dépenses de R&D et d'investissement des entreprises est que son ratio de grandes entreprises par rapport aux PME est beaucoup trop faible. En proportion de toutes les entreprises commerciales, il y a plus de trois fois plus de grandes entreprises aux États-Unis qu'au Canada. Pour améliorer la performance des BERD, la mise à l'échelle des entreprises canadiennes sera primordiale. Cela peut se produire avec de meilleurs leviers du côté de la demande, tels que l'utilisation des marchés publics pour créer la demande du marché et développer les PME. Les institutions publiques-privées telles que la DARPA et la NASA auraient eu beaucoup moins de succès si le gouvernement américain n'avait pas utilisé les marchés publics pour développer leurs technologies prometteuses et leurs industries de pointe.

Un développement et une intégration plus poussés sont nécessaires pour produire des inventions pouvant être commercialisées. Convertir des idées et des connaissances en produits, services et propriété intellectuelle demeure un défi formidable qui exige de nouvelles approches. Le Canada a besoin d'une structure organisationnelle scientifique et technologique pour l'économie moderne. La science doit se traduire par une croissance de la productivité et une prospérité future.