Le Canada a besoin d'une stratégie nationale d'innovation technologique agricole

Publié le: juillet 2022Catégories: Série éditoriale 2022, Éditoriaux

Auteurs):

Dr Lenore Newman

Institut de l'alimentation et de l'agriculture de l'Université de la vallée du Fraser

Directeur

Dr Evan Fraser

Arrell Food Institute à l'Université de Guelph

Directeur

Le système alimentaire mondial est à mi-chemin d'un autre été de mécontentement. Les pénuries de main-d'œuvre induites par la pandémie persistent tandis que l'inflation galopante secoue la chaîne d'approvisionnement. Les prix des matières premières montent en flèche ; Les responsables des Nations Unies craignent que jusqu'à un milliard de personnes ne sombrent dans une plus grande insécurité alimentaire alors que les nécessités quotidiennes deviennent hors de portée. La guerre en Ukraine fait rage, créant des pénuries désespérées de nourriture et d'engrais en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud. La situation est désastreuse et s'apprête à empirer.

Alors que les producteurs et les consommateurs retiennent collectivement leur souffle, espérant que la situation mondiale reviendra à la « normale », nous devons également prendre conscience que le système alimentaire est secoué par un dérèglement climatique sans précédent. Au moment d'écrire ces lignes, une chaleur extrême brûle l'Asie, l'Europe et l'Amérique du Nord, tandis que les incendies et les inondations mettent à l'épreuve les agriculteurs du monde entier. L'Inde et l'Indonésie ont réagi en réduisant les exportations alimentaires, en poussant les prix à la hausse et en aggravant les pénuries ailleurs. Les deux dernières années s'inscrivent dans une tendance inquiétante ; le commerce mondial ne peut plus être tenu pour acquis.

Les pays et régions intelligents adaptent leur façon de produire et de distribuer les aliments. Ce faisant, ils construisent des systèmes préparés pour les événements climatiques perturbateurs, les restrictions commerciales et les pénuries mondiales. Des principales régions productrices d'aliments telles que la Californie et les Pays-Bas aux puissances technologiques agricoles émergentes telles que Singapour, il existe une explosion d'intérêt pour les nouvelles méthodes et technologies qui peuvent soutenir une production alimentaire intensive tout au long de l'année. La culture en environnement contrôlé en intérieur peut être utilisée pour produire des fruits et légumes essentiels même dans des climats hostiles, tandis que la fermentation de précision peut produire des protéines alternatives sans les coûts environnementaux massifs associés à l'agriculture animale.

Au Canada, plusieurs initiatives intéressantes voient le jour. Cubic Farms sur la côte ouest cultive des légumes-feuilles toute l'année dans des systèmes à environnement contrôlé intérieur, nous préparant aux pénuries attendues d'importations en provenance de Californie. FuelPositive développe des technologies pour produire des engrais ammoniaqués directement dans les fermes en utilisant de l'électricité propre, ce qui réduira les émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole. Et des fonds de capital-risque tels que Cult Food Science soutiennent des start-ups de protéines alternatives pour produire des aliments de haute qualité avec un faible impact environnemental. En soi, ce sont des initiatives impressionnantes. Mais en tant que nation, nous sommes en retard sur les véritables superpuissances. Le gouvernement fédéral devrait investir dans une stratégie nationale pour l'agriculture et la technologie.

Cette stratégie devrait reposer sur quatre piliers clés.

Premièrement, nous devons relocaliser la nourriture. Nous devons être en mesure de garantir un approvisionnement tout au long de l'année des cultures essentielles dont nous dépendons, en particulier les fruits et légumes nécessaires à l'alimentation humaine et à la santé publique. Les nouvelles technologies peuvent soutenir une production alimentaire intensive tout au long de l'année sur des marchés qui dépendent actuellement des importations pour l'essentiel de leur approvisionnement alimentaire. Cela signifie des investissements dans l'agriculture à environnement contrôlé et la production de protéines alternatives (en particulier l'agriculture cellulaire). Le développement de ces technologies doit être un domaine d'intérêt explicite pour nos conseils de recherche et pour le soutien d'ISDE.

Deuxièmement, l'agriculture à travers notre pays doit utiliser de nouvelles technologies et pratiques de gestion pour adopter l'agriculture régénérative, transformant ainsi les terres agricoles d'une source d'émissions de gaz à effet de serre en un puits de carbone. La nouvelle technologie des engrais, les tracteurs intelligents, les capteurs de sol et les données de télédétection donnent aux agriculteurs des outils pour régénérer le sol, réduire les intrants et augmenter la productivité. Les gouvernements peuvent aider en travaillant avec l'industrie pour créer à la fois des marchés qui mettent un prix sur les gaz à effet de serre (récompensant ainsi l'agriculture qui fait partie de la solution climatique) et créer les outils de mesure, de vérification et de rapport dont le secteur a besoin pour tenir compte de la façon dont les émissions de gaz à effet de serre les gaz peuvent être absorbés par le sol.

Troisièmement, nous devons recruter des jeunes pour rejoindre le secteur en donnant la priorité à la formation dans les technologies agricoles. Nous avons besoin que la prochaine génération de travailleurs du savoir s'intéresse à l'alimentation et à l'agriculture. Et il faut se rendre compte qu'à l'avenir, un agriculteur est aussi susceptible de porter une blouse de laboratoire que de travailler dans une grange ou de conduire un tracteur.

Enfin, nous devons réaliser que pour rivaliser avec les meilleurs au monde, nous devons créer des zones d'innovation agricole dans deux ou trois grandes villes canadiennes qui créeront une masse critique de liens entre le gouvernement, l'industrie, les universités et une main-d'œuvre technologiquement qualifiée. Ce n'est qu'en faisant cela que nous aurons une chance d'incuber une «silicium valley of food».

Il y a une vague d'innovation agro-technologique qui balaie le monde et qui est l'une des frontières les plus créatives et passionnantes de la science. Les deux auteurs de cet article ont récemment rendu visite à une start-up californienne fabriquant du sashimi de saumon sans aucun saumon. Nous avons également mangé l'un des premiers produits laitiers sans animaux au monde, une excellente glace sortie d'une cuve de fermentation qui aurait pu tenir dans une micro-brasserie. Le Canada peut et devrait être à l'avant-garde de cette tendance. Pourtant, alors que d'autres pays se préparent à une crise du système alimentaire mondial, nous continuons de dépendre des importations alimentaires dans de nombreux secteurs cruciaux. Dans la plupart des villes canadiennes, les fruits et légumes produits localement restent en grande partie inaccessibles pendant une grande partie de l'année, sauf pour les riches. Et bien que le Canada se vante d'être un acteur mondial en matière d'alimentation et d'agriculture, nous ne pouvons pas suivre les innovations en matière d'agriculture cellulaire et de production de protéines alternatives. L'ingrédient manquant ? Des investissements massifs et une stratégie nationale pour conduire une révolution technologique agricole qui préparera nos systèmes alimentaires pour le siècle prochain.