Mesurer ce qui compte : comprendre le paysage de l'innovation au Canada
Auteurs):
Tijs Creutzberg
Conseil des académies canadiennes
Directeur des évaluations
Jeff Kinder
Conseil des académies canadiennes
Directeur de projet
Clause de non-responsabilité : La version française de cet éditorial a été auto-traduite et n’a pas été approuvée par l’auteur.
Les innovations, notamment numériques, non seulement remodèlent nos vies, mais apportent également un changement transformationnel à l’économie mondiale. Qu'il s'agisse de commander un covoiturage local par l'intermédiaire d'une entreprise américaine, d'un influenceur canadien des médias sociaux créant du contenu numérique sur TikTok pour promouvoir un produit chinois, ou d'un agriculteur de la Saskatchewan contrôlant ses tracteurs automatisés depuis le centre-ville de Regina, les transformations sociales et économiques sont aussi omniprésentes que continues. . On ne peut que spéculer sur l’impact prochain de l’IA générative sur les produits et les processus dans tous les secteurs.
La plupart des Canadiens considèrent toute cette innovation comme positive, à condition qu'ils puissent acheter les nouvelles technologies et s'adapter facilement aux changements sociaux qu'elle génère. De la même manière, pour les industries canadiennes, ces innovations constituent un avantage dans la mesure où elles créent de nouveaux marchés, ouvrent des opportunités dans les réseaux mondiaux d’innovation et de production et améliorent la productivité grâce à l’adoption de technologies, tout en créant des emplois bien rémunérés.
D'où l'importance de mesurer la performance du Canada en matière d'innovation : avoir une compréhension claire de notre capacité à innover éclaire les politiques et les décisions qui contribuent à façonner l'écosystème plus large dans lequel l'innovation se produit et, potentiellement, contribue aux efforts visant à assurer la prospérité et le bien-être du Canada.
À cette fin, de nombreuses études de mesure ont été réalisées au fil des décennies, dont plusieurs du Conseil des académies canadiennes (CAC), toutes remarquablement cohérentes dans leurs conclusions lamentables – selon lesquelles le Canada obtient systématiquement de mauvais résultats en matière d’innovation malgré un écosystème de recherche favorable. Les investissements du secteur privé en R&D en pourcentage du PIB sont depuis longtemps restés au bas des comparaisons entre pays comparables et la tendance des investissements va dans la mauvaise direction. La productivité du travail continue de baisser. Les entreprises ont eu du mal à attirer des capitaux d’investissement, à développer des produits et services compétitifs et à atteindre une taille capable de résister à la concurrence internationale ou aux rachats étrangers. Avec l'effondrement de grandes entreprises technologiques phares telles que RIM et Nortel, ainsi que le déclin continu du secteur manufacturier, la capacité d'innovation du Canada, selon ces témoignages, est plus faible que jamais.
Nécessaire : innovations en matière de mesure
Et si une partie du problème actuel n’était pas l’innovation en soi, mais plutôt la manière de la mesurer ? Malgré tous les changements sociaux et économiques induits par l’innovation au cours de la dernière décennie, la mesure de l’innovation a remarquablement peu changé. En effet, ce que nous mesurons repose depuis longtemps sur la économie tangible via un modèle d’innovation industrielle dans des secteurs traditionnels bien définis et qui s’inscrit dans un écosystème plus large de supports institutionnels. Ce modèle suppose que les entreprises investissent dans la recherche et le développement technologique qui, en cas de succès, conduisent à la production, à la vente et à l'exportation de (principalement) des biens, et finalement à la croissance et à l'échelle de l'entreprise. Et ils le font en s’appuyant sur des intrants mesurables, notamment la recherche publique, une main-d’œuvre instruite et des soutiens financiers.
Même si bon nombre de ces indicateurs restent importants dans le économie immatérielle, d'autres peuvent avoir moins d'importance. Les exportations, longtemps considérées comme l’un des indicateurs permettant de mesurer le succès de la production de nouveaux biens, ne tiennent pas compte des flux numériques transfrontaliers qui dominent désormais le secteur des services. Qu’en est-il des dépenses des entreprises canadiennes en R&D (DIRDE) ? La baisse constante des DIRDE reflète-t-elle une innovation médiocre ou simplement le fait que de nombreuses entreprises peuvent désormais innover avec succès avec beaucoup moins de capital en s'appuyant sur des plateformes et des services cloud, et avec une petite équipe hautement qualifiée et dispersée à l'échelle mondiale ? Et quel aperçu des atouts de l'innovation peut-on tirer de l'analyse de secteurs appartenant à des catégories sectorielles trop générales et souvent dépassées telles que les « TIC » ou « l'industrie manufacturière ». Les Fintech, les SaaS, les technologies propres et l’agriculture numérique, par exemple, se perdent toutes dans les classifications industrielles traditionnelles qui dominent les approches standards de mesure de l’innovation. La manière dont nous mesurons les performances de la recherche présente également de nombreux défis. Malgré les progrès, les indicateurs et méthodes bibliométriques existants continuent de présenter des faiblesses, notamment en ce qui concerne la capture adéquate des performances de recherche dans les sciences humaines, les arts et les sciences sociales – disciplines essentielles à la créativité et à l’innovation.
La bonne nouvelle est que de nouveaux indicateurs sont en cours d'élaboration ainsi que de nouvelles approches qui pourraient donner une meilleure idée de la dynamique actuelle de l'innovation et de la S&T. Le Comité consultatif scientifique du CAC a chargé un sous-comité en 2019 d'examiner les défis et les limites des méthodes utilisées pour évaluer les forces du Canada en science, technologie et innovation (STI). Le sous-comité a présenté plusieurs alternatives prometteuses aux méthodes de mesure standard qui peuvent être utilisées par le prochain groupe d'experts chargé de mettre à jour la série de rapports du CAC mesurant les forces et les faiblesses du Canada en matière de STI. Les enquêtes d'opinion et les méthodes de recherche qualitative, par exemple, peuvent être déployées parallèlement aux mesures quantitatives pour raconter une histoire de performances plus riche. Il est également nécessaire de comprendre l’innovation inclusive et l’innovation sociale qui complètent l’innovation économique traditionnelle axée sur la S&T mais qui peuvent compliquer le défi de la mesure. Enfin, Statistique Canada a également relevé le défi, en améliorant par exemple ses enquêtes auprès des entreprises afin de pouvoir identifier les transactions numériques transfrontalières et les services fournis numériquement, tant au niveau national qu'international.
Le Canada : un grand innovateur ?
Le plus intrigant, et à la surprise des observateurs de longue date de l’innovation canadienne, est le European Innovation Scorecard 2023 récemment publié, qui identifie le Canada comme un « innovateur fort » et l’un des trois seuls pays dont la performance en matière d’innovation a réellement augmenté entre 2016 et 2023, avec Chine et Corée du Sud. Quelques indicateurs notables dans leur tableau de bord : PME avec innovation produit (augmentation de 54 %) ; les copublications public-privé (augmentation de 61 %) et les exportations de services à forte intensité de connaissances (augmentation de 16 %). L’histoire de l’innovation au Canada pourrait-elle enfin changer ? Peut-être, mais pour avoir davantage confiance dans de telles évaluations, nous devrions examiner de plus près ce qui est mesuré et comment.