Promouvoir la science en français : un moteur pour l’économie et la diplomatie scientifique dans le monde francophone

Publié le: mars 2025Catégories: Éditoriaux, Série éditoriale française Vol. 1

Auteur:

Rémi Quirion

Rémi Quirion

L'urgence de mobiliser la science en français

La science joue un rôle central dans la résolution des défis économiques, environnementaux et sociaux auxquels nous sommes confrontés. Pourtant, sa diffusion et son accessibilité se heurtent à un obstacle majeur : la prédominance de l’anglais comme langue de communication scientifique. Si cette réalité facilite les échanges globaux, elle crée aussi des inégalités profondes en excluant des millions de personnes des discussions scientifiques et des avancées technologiques.

Cette situation n’est pas sans impact sur les communautés francophones, notamment dans les pays où le français est une langue officielle ou culturelle. Le français, langue internationale parlée par plus de 320 millions de personnes sur cinq continents, doit jouer un rôle clé dans la démocratisation de la science et l’enrichissement de ses perspectives culturelles.

Un levier pour l'économie mondiale

La promotion de la science en français ne relève pas uniquement d’une préoccupation culturelle : elle constitue également un puissant moteur économique. Investir dans la recherche et l’innovation pour qu’elles soient menées, diffusées ou déployées en français, permet de développer des solutions adaptées aux réalités locales. S’approprier la science en français pour qu’elle s’incarne dans l’innovation et le développement économique nécessite des initiatives concrètes pour mieux la promouvoir auprès des communautés.

Une initiative phare au Québec est la création d’un réseau universitaire soutenant plus de 60 revues scientifiques en français, accessibles gratuitement à tous. Ce projet, financé à hauteur de 10 millions de dollars sur cinq ans, couvre des disciplines allant des sciences sociales aux technologies de la santé. L’objectif est de mutualiser certaines opérations de production des revues et d’encourager les chercheurs à publier en français, tout en garantissant la libre circulation de leurs travaux au-delà des frontières.

En parallèle, des prix mensuels ont été instaurés pour récompenser les meilleures publications en français dans tous les secteurs de recherche. Ces prix valorisent la production scientifique en français et stimulent des vocations parmi les jeunes chercheurs.

Le renforcement du français dans la sphère scientifique a également des répercussions économiques tangibles, notamment sur le continent africain, où la population francophone devrait représenter 85 % de la francophonie mondiale d’ici 2050. La publication en français renforce l’utilisation de la science et donc de l’impact des recherches, favorisant ainsi le développement économique régional.

La diplomatie scientifique : une priorité francophone

Dans un monde marqué par des tensions géopolitiques croissantes, la diplomatie scientifique s’impose comme un outil essentiel pour favoriser la coopération internationale et résoudre les grands défis globaux.

Depuis 2021, j’ai l’honneur de présider le Réseau international en conseil scientifique gouvernemental (INGSA). Cette plateforme rassemble des experts, des décideurs et des institutions académiques pour renforcer les capacités des gouvernements à intégrer la science dans leurs politiques publiques.

L’INGSA met un point d’honneur à promouvoir le plurilinguisme comme vecteur de collaboration internationale. En favorisant l’usage de langues locales comme le français dans les échanges scientifiques, l’INGSA renforce la diversité des approches et l’équité dans les débats mondiaux.

Parmi les initiatives marquantes d’INGSA figure le soutien à la formation des décideurs africains en conseil scientifique. Ces efforts incluent des ateliers multilingues et des ressources adaptées aux réalités locales, permettant aux gouvernements de mieux intégrer l’expertise et les données scientifiques dans leurs décisions stratégiques.

Le Réseau francophone international en conseil scientifique (RFICS), division d’intérêt de l’INGSA, est un autre pilier de la diplomatie scientifique francophone. Créé sous l’impulsion du Québec, ce réseau vise à renforcer les capacités scientifiques des pays francophones.

Avec un budget de 2 millions de dollars sur cinq ans, le RFICS forme des experts locaux, soutient la création de conseils scientifiques nationaux et facilite les collaborations interdisciplinaires. Son impact est particulièrement visible en Afrique, où il contribue à transformer la science en un levier de développement durable et d’innovation.

Initiatives stratégiques pour promouvoir la science en français

La découvrabilité des contenus scientifiques en français est essentielle pour garantir leur impact. Pour répondre à cet enjeu, le Québec a entre autres créé une chaire dédiée à la découvrabilité des contenus scientifiques en français, dont le co-titulaire est également titulaire de la chaire UNESCO sur la science ouverte. Cette initiative s’accompagne d’efforts pour inclure les travaux francophones dans les grandes bases de données internationales, renforçant ainsi leur visibilité.

Soutenant plus d’une soixantaine de revues scientifiques en accès libre et gratuit, surtout dans les domaines des sciences humaines et sociales, des arts et des lettres, le Québec souhaite voir la création d’autres revues en santé, en sciences naturelles et intersectorielles. En rendant leurs contenus accessibles gratuitement aux auteurs et aux lecteurs à travers le monde, ces revues promeuvent l’équité et l’inclusion dans la diffusion des connaissances.

La vulgarisation est un levier clé pour connecter la science à la société. Des initiatives telles que la production de contenus scientifiques en français sur des plateformes numériques permettent de toucher un public jeune et de contrer la désinformation. De telles actions renforcent également l’intérêt pour les carrières scientifiques et encouragent la littératie scientifique dans les communautés francophones.

Science et économie : une dynamique circulaire

L’économie et la science s’enrichissent mutuellement. En Afrique, des centres comme le Centre d’Etudes Linguistiques et Historiques par Tradition Orale (CELHTO) démontrent comment la numérisation et la publication en langues locales augmentent l’impact socio-économique des recherches.

Par ailleurs, des plateformes comme SciELO, développées initialement au Brésil, inspirent des efforts similaires dans l’espace francophone. Ces initiatives montrent qu’un investissement stratégique dans la science en français peut stimuler la collaboration régionale et l’innovation globale.

Ensemble pour une science multilingue et inclusive

La science en français est bien plus qu’un simple outil de communication. C’est une clé pour une diplomatie plus efficace, une économie plus équitable et une recherche plus accessible. C’est vrai pour le français, mais également pour les autres grandes langues, voire les langues plus locales. L’anglicisation accrue de la science qui monopolise environ 90 % des publications scientifiques dans le monde réduit par le fait même les possibles en termes d’utilisation des connaissances pour la prise de décision, le développement social et économique des régions ou communautés qui n’ont pas l’anglais comme langue maternelle.

En misant sur des initiatives comme celles décrites ici, nous pouvons transformer la francophonie scientifique en un moteur de changement global. Cet effort nécessite la mobilisation de tous – des chercheurs aux décideurs, en passant par les citoyens.