Vers un nouveau paradigme dans la prise de décision et la gouvernance des grandes installations de recherche au Canada : une réponse au rapport du Groupe consultatif sur le système fédéral de soutien à la recherche

Auteurs):

John Barrett

Conseil d'administration de Neutrons Canada

Président

Photo de John Barrett - Kevin Fitzgibbons, un vieil homme blanc avec des lunettes
Clause de non-responsabilité : La version française de cet éditorial a été auto-traduite et n’a pas été approuvée par l’auteur.

La libération de la Rapport du Comité consultatif sur le système fédéral d'aide à la recherche arrive à un moment charnière pour la politique scientifique canadienne. 

Ottawa doit décider comment le système fédéral de soutien à la recherche façonnera la capacité de notre pays à répondre aux défis imminents et futurs – changement climatique, pandémies mondiales, croissance économique durable et qualité de vie équitable. Bref, le gouvernement fédéral doit décider de la façon de positionner le Canada dans le contexte d'évolution rapide des changements scientifiques et technologiques d'aujourd'hui. 

Les recommandations du Comité consultatif fournissent une feuille de route pour relever ces défis. Cependant, sous-jacent à ces recommandations se trouve un problème plus vaste auquel il faut s'attaquer, car il est devenu clair que le système fédéral actuel de soutien à la recherche n'est plus adapté à son objectif.

Cela est particulièrement vrai pour la prise de décision sur les investissements dans les grandes installations de recherche (MRF). L'état actuel de la recherche qui s'appuie sur des infrastructures nationales pour produire des faisceaux de neutrons révèle la nécessité d'utiliser le rapport comme une opportunité d'aller au-delà de la statu quo et adopter un nouveau paradigme dans la gouvernance et la prise de décision de l'infrastructure de recherche canadienne. 

Pour mieux comprendre ce besoin, il est important de disposer d'informations sur la gouvernance et la prise de décision relatives aux MRF.

Installations de recherche majeures dans l'écosystème de la recherche au Canada 

Les MRF jouent un rôle clé dans les écosystèmes canadien et international de la science, de la technologie et de l'innovation (STI) en concentrant des équipements et des instruments majeurs pour la recherche de pointe. Les MRF fonctionnent également comme des installations d'utilisateurs accessibles à un large éventail de chercheurs; en tant que tels, ils offrent des opportunités de formation inestimables aux étudiants et aux chercheurs en début de carrière.

De plus, les MRF au Canada sont devenues des plaques tournantes pour les collaborations nationales et internationales qui ont mené à des percées – telles que l'expérience SNO qui a abouti à un prix Nobel canadien de physique en 2015 et les expériences canadiennes de faisceaux de neutrons qui ont fourni la première preuve de matériaux topologiques, le sujet du prix Nobel de physique en 2016.

Malgré ces réalisations, le financement, la gestion et la viabilité à long terme des MRF ont souffert de l'absence d'un cadre de gouvernance cohérent et intégré. Aucun ministère ou organisme n'a le mandat global des MRF, il n'y a donc pas de vision à long terme pour les construire et les maintenir. 

De plus, les processus décisionnels sont ad hoc et fragmenté. Par exemple, le Fonds des initiatives scientifiques majeures de la Fondation canadienne pour l'innovation (FCI) ne peut pas financer de nouvelles installations majeures, tandis que ses concours de financement sur 6 ans empêchent le financement à long terme des immobilisations et du fonctionnement. Cela limite considérablement les MRF dans la planification à long terme, l'investissement optimal et le maintien de leur infrastructure à la pointe de la technologie. 

La question de savoir comment la prise de décision fédérale sur les investissements dans les FMR devrait être prise n'est pas nouvelle. Il a été abordé dans plusieurs rapports au cours des deux dernières décennies, y compris l'examen des sciences fondamentales de 2017. Mais nous constatons toujours une fragmentation des efforts, un manque de vision à long terme et la nécessité d'une gouvernance solide et transparente.

La recommandation du Panel consultatif d'établir une feuille de route du MRF offre l'opportunité de remédier à ces lacunes. Une feuille de route aiderait les décideurs et la communauté scientifique à faire le point sur l'état des MRF canadiennes; identifier les lacunes d'une approche globale de planification du cycle de vie à traiter en tant que priorités nationales ; et permettre aux futures exigences à long terme de l'entreprise STI de rester compétitives à l'échelle internationale. 

Pour illustrer pourquoi une feuille de route MRF permettant de tels résultats est nécessaire - et pourquoi un régime d'investissement et de gestion intégré au niveau national est si important à ce stade - l'état actuel de la recherche reposant sur une infrastructure nationale pour produire des faisceaux de neutrons en est un bon exemple.

Recherche sur les faisceaux de neutrons - vers un régime d'investissement et de gestion intégré à l'échelle nationale 

Tout comme les faisceaux de lumière sont utilisés dans un microscope pour en savoir plus sur les matériaux, les faisceaux de neutrons se dispersent à partir des matériaux pour révéler des détails qui ne peuvent pas être « vus » avec d'autres outils scientifiques. Les faisceaux de neutrons brillants sont des outils polyvalents et irremplaçables pour les ingénieurs et les scientifiques du monde entier qui font progresser les connaissances et améliorent les matériaux avancés. 

Une telle innovation dans les matériaux sous-tend de nombreuses avancées technologiques pour les priorités nationales - telles que la production et le stockage d'énergie propre, la transformation des secteurs manufacturiers vers une production nette zéro et le développement d'approvisionnements alimentaires plus durables. Les faisceaux de neutrons permettent également des découvertes dans les matériaux quantiques, essentiels dans les technologies de l'information de nouvelle génération. 

Les faisceaux de neutrons brillants nécessitent des installations centralisées dans les réacteurs de recherche ou les grands accélérateurs de particules. Au Canada, des faisceaux de neutrons ont été produits aux Laboratoires de Chalk River, où Bertram Brockhouse a mené des recherches récompensées par le prix Nobel dans les années 1950 et 60 démontrant la valeur scientifique des faisceaux de neutrons. Le laboratoire de faisceaux de neutrons, plus tard connu sous le nom de Centre canadien de faisceaux de neutrons (CNBC), est devenu une installation nationale d'utilisateurs, attirant des chercheurs de partout au Canada et de plus de 20 pays pour y mener des expériences. Les Canadiens sont à la tête de ce domaine depuis plus de 70 ans, appliquant des faisceaux de neutrons pour avoir des impacts socio-économiques majeurs. Assurer la sécurité et la fiabilité des réacteurs nucléaires, des pipelines et des moteurs de voitures et d'avions du Canada ne sont que quelques exemples.

Mais la CNBC a été victime de l'absence d'un cadre décisionnel sur les investissements du MRF. L'intendance du CNBC par le Canada n'a pas évolué parallèlement à sa croissance en un MRF qui a soutenu la recherche dans tout le pays. Au lieu de cela, il était régi comme un complément à l'infrastructure exploitée pour d'autres missions - d'abord, la recherche sur l'énergie nucléaire, puis la production d'isotopes médicaux. 

De plus, la gouvernance de la CNBC est restée sous la responsabilité d'agences fédérales sans mandat pour fournir une infrastructure pour soutenir la recherche extra-muros. Il y a eu peu de réinvestissement pour maintenir CNBC à la pointe de la technologie et il n'y a pas de voix institutionnelle pour ses utilisateurs. Lorsque les agences fédérales responsables ont été restructurées au début des années 2010, aucune institution n'est restée pour représenter ce domaine de recherche et planifier de nouvelles infrastructures pour permettre la continuation de CNBC au-delà de sa fermeture en 2018. 

Mais maintenant, une nouvelle opportunité se profile à l'horizon. En 2022, 15 universités se sont réunies pour créer une nouvelle organisation - Neutrons Canada – ayant pour mandat de gouverner, de gérer et de représenter l'infrastructure actuelle et future des faisceaux de neutrons du Canada. À cette fin, Neutrons Canada est devenu l'intendant institutionnel d'un processus de planification à long terme visant à établir un consensus au sein de la communauté de la recherche sur la meilleure façon d'investir pour rétablir et exploiter un programme national d'infrastructure de faisceaux de neutrons. Comme graine pour le programme, ces universités ont initialement obtenu un financement de la FCI pour un projet de 47 millions de dollars au réacteur nucléaire de McMaster. 

Des recommandations du comité consultatif à l'action 

Les travaux novateurs de Neutrons Canada et de ses membres – combinés aux recommandations du Comité consultatif – présentent une occasion prometteuse de reconstruire les capacités du Canada en matière de recherche sur les matériaux à l'aide de faisceaux de neutrons. En fait, Neutrons Canada pourrait servir de premier cas d'essai d'un nouveau MRF en développement. (D'autres candidats au nouveau cadre - tels que TRIUMF, CLS, VIDO-Intervac et Ocean Networks Canada - fonctionnent déjà en tant que MRF.) 

Le Comité consultatif sur le système fédéral de soutien à la recherche a apporté une précieuse contribution à la politique STI. Cependant, nous devons d'abord mettre en place une bonne gouvernance. 

Le gouvernement fédéral doit faire preuve d'un solide leadership national. Un cadre solide pour l'investissement, la gouvernance et la gestion de l'infrastructure de recherche et des MRF est un élément essentiel de ce leadership. L'avenir de la recherche canadienne utilisant des faisceaux de neutrons, des accélérateurs de particules, des réseaux océaniques, des plateformes de séquençage du génome et des réseaux de centres de données dépend de ce leadership.

Il est temps de transformer les recommandations en actions.