Budget fédéral 2019 : Des cacahuètes pour le Nord

Publié le: mars 2019Catégories: Éditoriaux, Éditoriaux en vedette 2019Mots clés:

Auteurs):

Émilie Parent

Centre d'innovation sociale en agriculture du Cégep de Victoriaville (CISA)

Chargée de projets partenariats autochtones

Simon-Louis Lajeunesse

CISA

Senior Project Manager

Émilie Parent et Simon-Louis Lajeunesse

Le gouvernement canadien et la politique de sécurité alimentaire

Nous saluons les efforts du gouvernement canadien pour établir une politique alimentaire pour le pays. Cette nouvelle politique inclura le soutien au développement de la sécurité alimentaire dans les communautés nordiques et autochtones.

Dans le budget, 15 millions de dollars sur cinq ans seront distribués pour permettre aux communautés autochtones et nordiques de développer des projets communautaires pour lutter contre l'insécurité alimentaire. Les projets comprendront l'achat de congélateurs et de serres communautaires. Il offrira également une formation aux producteurs agricoles autochtones. De plus, des fonds seront accordés pour encourager la poursuite des activités traditionnelles de chasse et de pêche.

Ce financement ne représente toutefois que 10 % du total prévu dans le budget fédéral de 2019 pour les initiatives de sécurité alimentaire. Pourtant, les groupes autochtones ont une plus grande prévalence de facteurs de risque socio-démographiques d'insécurité alimentaire (faible niveau d'éducation, faible revenu, accès limité à l'éducation). Ainsi, même si ce sont les communautés qui ont le plus besoin d'investissements pour développer leur système alimentaire, elles ne recevront qu'une infime partie du budget 2019 dans cette catégorie.

Sécurité alimentaire ou souveraineté alimentaire
La sécurité alimentaire est donc un enjeu majeur selon le gouvernement fédéral. Cependant, ce concept ne traite que du manque de nourriture et non des raisons de la faim dans le Nord. La sécurité alimentaire peut être présente même si les aliments ne sont pas frais ou sains. Par exemple, dans certaines communautés indigènes, bien qu'il y ait suffisamment de nourriture disponible, même les ménages aisés ont du mal à manger des produits sains. Les produits importés du Sud sont trop chers ou simplement de mauvaise valeur nutritionnelle. La disponibilité et l'accès à la nourriture ne sont pas les seuls obstacles à la consommation d'aliments sains et culturellement appropriés (ancrés dans les valeurs d'une communauté). Le concept de sécurité alimentaire n'aborde pas les relations de pouvoir dans les systèmes alimentaires. Afin de lutter contre l'injustice et l'abus de pouvoir liés à la production et à la consommation de nourriture, il est nécessaire de se tourner davantage vers le concept de souveraineté alimentaire. Cela reconnaîtrait les obstacles politiques au contrôle des aliments locaux et encouragerait les communautés à assumer la responsabilité de leurs chaînes alimentaires. Un tel processus nécessiterait un investissement majeur, bien au-delà des 15 millions de dollars sur cinq ans promis par le budget 2019. La formation d'experts des Premières Nations en agriculture nécessiterait à elle seule une telle somme. Pourtant, le gouvernement canadien continue de promouvoir une approche faussée, confondant sécurité et souveraineté alimentaire. Deux visions de l'avenir des communautés autochtones s'opposent ici : l'une où elles seraient des communautés autochtones bien nourries mais toujours dépendantes du sud pour leur alimentation, et dans l'autre vision, des communautés retrouvant leur autonomie et donc leur souveraineté.

Les communautés sont conscientes des enjeux liés à l'alimentation, comme la santé publique et le développement économique. Ils savent que la santé des générations futures dépendra d'un changement drastique d'alimentation, puisque l'alimentation actuelle des Premières Nations favorise l'obésité et l'émergence de maladies chroniques comme le diabète. Les communautés doivent donc recevoir le soutien nécessaire pour développer des infrastructures communautaires et commerciales qui répondront à leurs besoins réels. C'est donc tout un système alimentaire local et régional qu'il faut développer.

Avec la nouvelle politique alimentaire, le gouvernement entend soutenir les initiatives liées à l'alimentation traditionnelle. C'est une reconnaissance de l'importance de ces aliments dans les cultures indigènes. Le gouvernement s'est également engagé dans un processus de réconciliation avec les communautés. Cependant, certaines composantes territoriales sont perdues à jamais. Les terres inondées ne redeviendront plus jamais un terrain de chasse prospère. De plus, les collectivités sont fermement ancrées dans l'économie marchande et salariale. L'accès à la terre peut être préservé, mais des alternatives doivent être trouvées pour compenser le pourcentage d'aliments traditionnels qui ne seront plus consommés. Ce pourcentage de nourriture doit être frais et provenir des communautés elles-mêmes. Pour ce faire, ils auront besoin de bien plus de 15 millions de dollars sur cinq ans pour développer la main-d'œuvre et installer les infrastructures nécessaires.

Il s'agit donc d'intégrer les différentes composantes du budget concernant les communautés autochtones dans une politique alimentaire qui leur est destinée. Seule une approche cohérente, financée pendant au moins dix ans avec de grosses sommes d'argent, peut aider ces communautés à construire les systèmes alimentaires dont elles ont besoin pour prospérer.