Budget fédéral canadien 2016 : Retour aux fondamentaux

Auteurs):

Jim Woodget

Chercheur et directeur de recherche, Institut de recherche Lunenfeld-Tanenbaum

Woodget

Au cours de la longue campagne des élections générales de l'été/automne 2015, le Parti libéral du Canada a fait campagne sur un certain nombre de questions qui ont trouvé un écho auprès des scientifiques qui, en tant que groupe, s'étaient sentis particulièrement négligés par le gouvernement conservateur Harper. Ce n'est pas que le Parti conservateur avait oublié la science. En effet, au cours de la dernière décennie, il a investi dans une variété de nouveaux programmes scientifiques, y compris le Chaires d'excellence en recherche du CanadaVanier ainsi que  Banting bourses pour stagiaires, les Centres d'excellence pour la commercialisation de la rechercheFonds d'excellence en recherche Apogée Canada et quelques autres initiatives. Cela a dû être décevant pour le premier ministre de l'époque, Stephen Harper, lorsqu'une grande partie de ces largesses n'a eu pour effet que d'enrager davantage les embêtants chercheurs. Cela s'explique en grande partie par le fait que bon nombre de ces investissements mettaient l'accent sur le ciblage et l'application de la science et sur des projets qui promettaient des retours sur investissement à court terme. La science est historiquement reconnue comme un moteur d'innovation et de richesse, alors pourquoi ne pas faire pencher la balance vers le fruit le plus bas, plus proche de la commercialisation et de la création d'emplois ? Le Conseil National de Recherche du Canada, qui a toujours été proche de l'industrie, a été restructurée de sorte que ses installations de classe mondiale sont essentiellement devenues des laboratoires de recherche à louer par le secteur privé. Célèbre, son président, John MacDougal, a déclaré : «La découverte scientifique n'a de valeur que si elle a une valeur commerciale ».

Les triconseils (IRSC, CRSNG et CRSH) ont reçu du gouvernement Harper des augmentations de leurs budgets annuels qui étaient généralement inférieures à l'inflation et réservées à des programmes spécifiques, favorisant généralement les activités de recherche appliquée. En conséquence, les fonds pour la science fondamentale ont commencé à se tarir, en particulier pour les opportunités de financement initiées par les chercheurs. Exacerbant le problème, les IRSC ont introduit une série de réformes visant à moderniser leur processus de sélection qui ont fondamentalement changé la processus de demande et d'examen. Ces changements étaient si importants que deux concours semestriels ont été annulés afin de libérer des fonds pour les nouveaux programmes. Comme on pouvait s'y attendre, cela a considérablement augmenté la pression des candidatures (nombre de candidatures soumises) dans les concours qui se sont déroulés, avec un impact négatif important sur les taux de réussite. Par exemple, le concours du programme de projets actuellement actif compte presque le double de demandes de subventions, comme d'habitude, et les IRSC se démènent pour trouver suffisamment d'examinateurs.

Les changements apportés au programme des IRSC ont également eu un effet très délétère sur les jeunes chercheurs, à savoir ceux qui étaient dans les 5 premières années suivant la mise en place de leur recherche indépendante. Selon certains calculs, cette cohorte, représentant les scientifiques les plus prometteurs et les plus compétitifs au Canada, a perdu le tiers de son financement traditionnel des IRSC au cours de la dernière année. Ces chercheurs ne sont pas titulaires et sont particulièrement vulnérables, bien que les chercheurs à mi-carrière soient également dans une situation désespérée.

C'est donc un soulagement que le budget fédéral du printemps 2016 injecte 30 millions de dollars supplémentaires dans les coffres des IRSC (et du CRSNG) pour l'exercice 2016-17 (ainsi que 15 millions de dollars pour le CRSH). Cela s'ajoute aux 15 millions de dollars promis par le gouvernement Harper dans le budget de 2015 (les triconseils n'ont reçu aucune augmentation de leurs budgets l'année dernière - un camouflet amer), de sorte que ces deux agences obtiennent 45 millions de dollars supplémentaires à allouer en 2016/17. Ils en auront besoin et, dans le cas des IRSC, bien que cela n'augmente les taux de réussite que de quelques points de pourcentage, cela sera bien accueilli par tout le monde. Surtout, 30 millions de dollars de ces fonds ne sont pas ciblés (il semble que les 15 millions de dollars seront dirigés vers la recherche microbienne et vers la stratégie de recherche axée sur le patient mal considérée, comme initialement dictée en 2015) et il sera intéressant de voir comment les conseils choisiront dépenser leurs nouveaux dollars.

Il convient de noter que le discours des ministres des Finances mentionne spécifiquement la recherche scientifique à trois endroits :

1. Pour soutenir ces centres d'excellence [universités, collèges et instituts de recherche], notre gouvernement fournira la plus forte augmentation annuelle de financement depuis plus d'une décennie pour découverte la recherche par l'entremise des conseils subventionnaires du Canada — 95 millions de dollars supplémentaires par année.

2. Ces investissements reflètent tous notre conviction fondamentale que l'avancement de Essentiel la science et le développement de la capacité intellectuelle est le fondement de l'innovation.

3. Dans le cadre de l'augmentation des nouveaux financements annuels pour découverte recherche, nous verserons 30 millions de dollars supplémentaires par année aux Instituts de recherche en santé du Canada.

L'accent est mis sur moi, mais assez clair. La recherche de découverte/la science fondamentale est évidemment la cible de l'argent. Ces nouveaux investissements sont claironnés par le gouvernement, comme « la plus forte augmentation en une décennie ». Bien qu'ils soient vrais, ils ne feront pas vraiment bouger les choses puisque les IRSC auraient besoin de 100 millions de dollars supplémentaires par année dans leur budget de base pour rattraper leur niveau de 2008-9, en fonction de l'inflation. En effet, le gouvernement, dans sa documentation complète, fait allusion à cet objectif, au cours des prochaines années. Reconstruire prend du temps.

L'argent fait tourner le monde, mais à mon avis, l'annonce la plus importante du budget concernant la science ne concerne pas l'argent. Au lieu de cela, à la page 115 du document budgétaire, le ministre des Sciences, le Rt. Honorable Kirsty Duncan, est chargé d'un "examen complet de tous les aspects du soutien fédéral à la science fondamentale au cours de l'année à venir". L'objectif déclaré est de renforcer le soutien fédéral aux conseils subventionnaires et à l'écosystème de la recherche. Plus précisément, il « examinera la justification du ciblage actuel du financement des conseils subventionnaires », « apportera une plus grande cohérence à la diversité des priorités de recherche fédérales… et des instruments de financement » et « évaluera le soutien aux chefs de file de la recherche prometteurs ».

Il ne faut pas beaucoup d'imagination (c'est-à-dire aucune) pour reconnaître qu'il s'agit d'un attaque frontale complète sur les politiques des agences de financement qui ont déplacé les fonds du soutien aux meilleures idées vers le ciblage des financements par le biais de mécanismes descendants - un trait du gouvernement précédent qui a été mis en œuvre par la direction actuelle du triconseil. Il reconnaît également le sort des jeunes chercheurs (l'empathie de la ministre des Sciences pour cette cohorte est limpide dans ses rencontres avec les chercheurs) et s'interroge sur la prolifération de véhicules de financement de niche qui ont vu le jour au cours de la dernière décennie. Dans un pays de la taille et du budget du Canada, cela n'a aucun sens de soutenir une pléthore d'organismes avec des mandats individuels. Nous avons plus d'agences que les États-Unis qui dépensent plus de 5 fois plus par habitant pour la recherche. Un examen similaire du financement de la science a récemment eu lieu au Royaume-Uni (le rapport de l'infirmière), qui recommandait la consolidation et la coordination.

Un examen de l'écosystème scientifique canadien pourrait, bien sûr, être dangereux. L'effondrement des agences dans un ou plusieurs véhicules plus grands pourrait entraîner davantage de perturbations. Mais les scientifiques devraient être très favorables à cet examen. Tout d'abord, il est attendu depuis longtemps. Le Chaires de recherche du CanadaIRSCGénome Canada ainsi que  Fondation canadienne pour l'innovation sont tous des enfants du gouvernement libéral de Chrétien. Au fil du temps, ils ont perdu de leur éclat et de leur attention au profit de véhicules plus récents et plus étroits. Deuxièmement, la division croissante du financement scientifique entraîne d'importantes déconnexions et séparations des disciplines, laissant les chercheurs interdisciplinaires dans le froid. Troisièmement, il existe des déséquilibres entre les infrastructures/équipements, le soutien salarial et les fonds de fonctionnement. Le fractionnement de ceux-ci peut (et a) conduit à des laboratoires bien équipés sans fonds opérationnels pour faire de la recherche. Des agences comme CFI et Génome Canada ont des injections de financement irrégulières et demandent depuis longtemps un budget stable, un peu comme les triconseils. Et enfin, il y a tout simplement trop d'agences qui entraînent une augmentation de l'administration, des coûts et un fardeau accru pour les chercheurs.

Par conséquent, un examen approfondi serait opportun et permettrait au gouvernement d'examiner plus en profondeur notre entreprise de recherche. Avec des conseils appropriés et largement sollicités et en évitant une influence indue de la charge, je suis convaincu que le ministre trouvera des opportunités d'efficacité et de nouvelles façons de soutenir de manière plus cohérente notre recherche de classe mondiale qui, ensemble, inversera la tendance à l'incertitude et à la perte constante de esprits brillants des domaines STEM. Pour un premier budget, je suis à la fois encouragé et optimiste. Le gouvernement n'a pas seulement démuselé les scientifiques canadiens, il les écoute activement. Parlez !