Des raisons d’y croire

Published On: March 2025Categories: Editorials, French Editorial Series Vol. 1

Author(s):

Céline Poncelin de Raucourt

celine-poncelin-de-raucourt-2023-400×600 – Jules Racine

En tant que plus grand réseau d’universités francophones en Amérique, l’Université du Québec est préoccupée par le déclin du fait français dans le champ scientifique canadien. 

L’anglicisation de la science canadienne reflète un phénomène d’ampleur mondiale, qui menace toutes les langues d’extinction dans le champ scientifique1. Au Canada comme ailleurs dans la francophonie, lorsque nous l’examinons sous l’angle des publications savantes, de la formation de la relève ou encore du financement, la science en français est en voie de disparition. 

Les principaux constats qui se dégagent de l’étude d’envergure réalisée par l’ACFAS en 2021 continuent de nous inquiéter aujourd’hui :   

  • Au Canada, « seule une poignée de revues en français ont été créées2 » depuis le tournant du millénaire.   
  • Dans les domaines des sciences naturelles et du génie, ainsi que des sciences de la santé, les chercheur.euse.s canadien.ne.s ne publient pratiquement plus qu’en anglais3. 
  • Seules les sciences humaines résistent encore à l’attrait de l’anglais, alors qu’en 2019, 90 % des articles canadiens publiés dans ce champ étaient écrits dans une autre langue que l’anglais4.

La position très minoritaire du français dans les modes de diffusion de la recherche le rend plus vulnérable aux changements dans l’écosystème de la recherche. Largement appuyée par le milieu universitaire, la mouvance mondiale vers le libre accès a le potentiel de rehausser la présence du français dans la circulation des savoirs. Cependant, la mise en place des politiques de libre accès par les bailleurs de fonds des publications savantes n’est pas assortie de mesures qui permettraient de contrecarrer les pertes de revenus découlant de la disparition graduelle des produits d’abonnement. Dans ce contexte, la survie de plusieurs revues savantes francophones – ou la création de nouvelles – est en péril.

La place du français est également compromise dans la formation de la relève scientifique. En 2023, près de la moitié des mémoires de maîtrise et thèses de doctorat réalisés au Québec étaient rédigés en langue anglaise, une tendance en hausse depuis 2000, alors que la proportion s’élevait à 18 %5.

Le déclin de l’usage du français en recherche s’observe aussi à travers le financement. Depuis vingt ans, la part du financement total de la recherche octroyée par le gouvernement fédéral aux établissements francophones est en déclin. Les chercheur.euse.s francophones reçoivent aujourd’hui un pourcentage des fonds moindre que leur poids démographique dans le corps professoral canadien, qui était en moyenne de 19 % entre 2017 et 20226. Cette sous-représentation est une conséquence de la concentration des fonds dans un nombre restreint d’établissements universitaires, dont la très grande majorité est anglophone.

En outre, l’analyse de la langue d’usage dans les demandes de financement laisse entendre que, dès sa phase préparatoire, la recherche se réfléchit de plus en plus en anglais7. Au CRSNG et aux IRSC, la part des demandes de subvention rédigées en français oscille entre 5 % et 10 % depuis le tournant des années 2000. Au CRSH, ce pourcentage est passé de 25 % à moins de 15 % entre les années 1990 et 2020. 

En sciences humaines et sociales, l’anglicisation est synonyme d’internationalisation, voire d’américanisation. Comme l’ont montré Jean-Philippe Warren et Vincent Larivière, la disparition du français signale un déplacement des objets de recherche vers d’autres espaces géographiques que le nôtre8. Ainsi, avec l’effacement du français en science, c’est la capacité de la population francophone d’ici et d’ailleurs à se connaître et à s’approprier les fruits de la recherche qui est en jeu. Chemin faisant, c’est le rôle de la science comme levier d’habilitation citoyenne, comme agent de cohésion sociale et comme moteur de développement socio-économique et culturel qui se trouve amputé. 

Pour défendre la diversité linguistique en recherche et l’importance d’une science pensée et diffusée dans la langue de sa communauté de proximité, plusieurs initiatives récentes donnent raison d’espérer des jours meilleurs. 

Fondé par l’ACFAS en 2022, le Service d’aide à la recherche en français contribue à rehausser le nombre de demandes de bourses et de subventions faites en français au Canada. En juin 2023, le Comité permanent de la science et de la recherche faisait rapport de ses consultations sur l’état de la science en français au pays. Les 17 recommandations du comité visaient à donner « un nouvel élan à la recherche et à la publication scientifique en français au Canada ». La nomination récente, par le gouvernement du Canada, du groupe consultatif externe sur la création et la diffusion d’information scientifique en français participe de cet élan. Au Québec, la création, par le Fonds de recherche du Québec, en 2024, du Réseau québécois de recherche et de mutualisation pour les revues scientifiques constitue une autre bonne nouvelle. Ce réseau vise à « renforcer l’écosystème de la publication scientifique en français au Québec ». Il en va de même du prix pour le Prix publication en français, remis mensuellement par le Fonds depuis 2021. 

L’Université du Québec entend jouer un rôle de premier ordre pour la vitalité de la francophonie scientifique. Avec une soixantaine de revues de langue française directement liées aux constituantes, soit près du quart du total canadien9, et sans compter le soutien aux Presses de l’Université du Québec, le réseau s’efforce d’assurer la survie de la production et de la diffusion scientifiques en français. À l’automne 2024, par exemple, l’UQTR a lancé un appel à projets visant à stimuler les partenariats de recherche et de formation avec des établissements universitaires de la francophonie canadienne. Parmi les projets déposés, cinq (5) ont été retenus pour financement à hauteur de 15 000 $ par projet. 

Figurant parmi les leaders dans la recherche sur la place du contenu francophone dans l’univers numérique, les chercheurs du réseau de l’Université du Québec sont activement engagés dans la quête de solutions viables. La Chaire de recherche du Québec sur la découvrabilité des contenus scientifiques en français, codirigée par Marie-Jean Meurs (UQAM) et Vincent Larivière (UdeM), participe directement à la réalisation de cet objectif. Le partenariat entre la France et le Québec, annoncé en mai 2024, devrait d’ailleurs bientôt conduire à la première stratégie franco-québécoise sur la découvrabilité des contenus scientifiques francophones. Cette entente fait également consonance avec les visées de la Chaire de recherche du Québec sur l’intelligence artificielle et le numérique francophones, codirigée par les chercheurs Jonathan Roberge et Destiny Tchehouali, respectivement de l’INRS et de l’UQAM. 

Comme l’Université du Québec, les institutions canadiennes composant l’écosystème francophone de l’enseignement supérieur ont un rôle de premier plan à jouer pour renforcer la vitalité de la langue française en science. C’est en se donnant collectivement les moyens de valoriser et de rendre visible la science en français que nous parviendrons à lui (re)donner la place qui lui revient.

References

  1. Comme l’expliquent Vincent Larivière et Jean-François Gaudreault-DesBiens, à l’échelle mondiale, « la proportion d’articles savants publiés en anglais est passée de 64 % en 1995 à plus de 90 % en 2019. Sur la même période, la proportion d’articles publiés en français est passée d’un peu moins de 10 % à 1 % ». « Mémoire sur la recherche et la publication scientifique en français », présenté conjointement au Comité permanent de la science et de la recherche de la Chambre des communes, 24 novembre 2022, p. 3.
  2. Acfas, Portraits et défis de la recherche en français en contexte minoritaire au Canada, juin 2021, p. 46.
  3. Idem., p. 49.
  4. Ibid.
  5. Jean-Hugues Roy, « En 2023, l’anglais deviendra la principale langue des thèses et mémoires du Québec », La Conversation.
  6. Données compilées par la Direction de la recherche institutionnelle de l’Université du Québec, 2024.
  7. Éric Forgues, « Pour une intervention structurante dans le domaine de la recherche et de la publication en français », mémoire présenté au Comité permanent de la science et de la recherche de la Chambre des communes, 17 octobre 2022.
  8. « La diffusion des connaissances en langue française en sciences humaines et sociales. Les défis du nouvel environnement international » Recherches sociographiques, 2018, 59 (3), p. 327–337.
  9. Acfas, op. cit., p. 40.