Innover vers et pour la science en français au Canada

Author(s):

Sylvain Charbonneau

Université d’Ottawa

vice-recteur à la recherche et à l’innovation

Martine Lagacé

Université d’Ottawa

vice-rectrice associée, promotion et développement de la recherche

Disclaimer: The French version of this editorial has been auto-translated and has not been approved by the author.

L’évolution rapide des changements climatiques depuis quelques décennies nous incite à repenser en  urgence notre relation avec notre propre environnement. Les actions que nous devrions prendre sont  multiples et complexes. Parmi celles-ci, le respect et la sauvegarde de la diversité des milieux naturels par  les communautés humaines sont au cœur des stratégies préconisées. Dans la sphère scientifique, il en va  de même. Pour innover et s’adapter aux nouveaux défis, les sociétés doivent se soucier de préserver la  diversité des milieux intellectuels et scientifiques.

Une richesse pour le Canada 

Avec cet objectif en tête, la présence d’un milieu scientifique francophone dans notre écosystème de la  recherche au Canada doit être absolument considérée comme un atout majeur et en conséquence préservée pour sa juste valeur. La science en français porte en elle un héritage scientifique séculaire, un  réseau de collaborations internationales solides et durables, des objets et des méthodologies de  recherche diversifiés, des institutions universitaires et des organismes de recherche dynamiques. Au cœur  de cette diversité, la francophonie institutionnelle, par le biais de l’Organisation internationale de la  Francophonie (OIF), regroupe à ce jour 88 états et gouvernements dans le monde; l’Agence universitaire  de la francophonie (AUF) jouit d’une importante communauté dans environ 120 pays, comptant plus de  1 000 établissements d’enseignements et de recherche, dont 33 au Canada, dans huit provinces. Les  quelques 321 millions de francophones dans le monde, dont plus de 10 millions au Canada, constituent  un bassin de population extrêmement important, dynamique et diversifié qui peut et doit être éduqué,  instruit et constamment informé dans leur langue maternelle ou leur langue d’usage pour comprendre  adéquatement les enjeux scientifiques qui se posent à eux. Ces enjeux représentent plus que jamais des  défis vitaux : changement climatique, santé, alimentation et agriculture, développement urbain,  migration, éducation, énergie, et bien d’autres.

Une diversité scientifique malmenée 

La science en français, lorsque réduite à une particularité de langage, place l’ensemble de l’écosystème  scientifique francophone dans une étroite situation de subordination ou de dépendance. Prenons par  exemple le domaine de la santé : la langue est reconnue comme l’un des déterminants sociaux de la santé.  Ce faisant, elle devrait être aujourd’hui prise en compte systématiquement dans la recherche afin de  réduire les inégalités en santé touchant particulièrement certaines communautés francophones dont les  aînés et les personnes vivant dans des régions rurales éloignées. De fait, si la science est publiée  majoritairement en anglais, les transformations sociales, culturelles et technologiques qui en découlent  affectent des populations et des communautés qui sont très largement non anglophones.

Bien que le français au Canada soit effectivement une langue officielle numériquement minoritaire, la  science en français ne peut être réduite à une approche comptable et ainsi minorisée. Sauf si l’on  considère que tous les écosystèmes scientifiques non anglophones dans le monde sont inférieurs et qu’il  faut les traiter comme tels par des politiques de seconde zone. Le risque serait de réduire  dangereusement la diversité des milieux intellectuels et d’assécher durablement notre capacité à

débattre, créer, et inclure la différence dans nos politiques publiques. Notre tradition nationale, fort  heureusement, ne va pas pour l’instant dans cette direction.

Poursuivre une éducation et maintenir un environnement de recherche compétitif et de qualité sont des  objectifs publics qui répondent à une exigence de développement de société plus inclusives, tant à  l’échelle canadienne que sur la scène internationale. Pourtant, la science en français n’affiche pas une  santé à la hauteur de son importance. Plusieurs rapports récents pointent les nombreuses difficultés  auxquelles font face les chercheur.e.s, les centres et instituts de recherche francophones et les universités  francophones et bilingues au pays. (Acfas 20211, Comité permanent de la science et de la recherche2,  Rapport final des États généraux de l’ACUFC et FCFA3). Ces rapports et études ont été largement repris  dans les médias, surtout francophones. À ce jour, des mesures concrètes fortes qui pourraient corriger ce  déséquilibre structurel en défaveur de la science en français se font toujours attendre pour répondre aux  nombreuses et pertinentes recommandations préconisées dans ces différents rapports.

S’engager en faveur de la science en français, c’est d’abord vouloir connaître et reconnaître l’ensemble  des acteurs et des institutions clés qui contribuent au cycle de production de la science : les utilisateurs  de connaissances, à savoir les communautés francophones et leurs organisations porte-parole, les  institutions de formation et de recherche, les chercheur.e.s et les centres et instituts de recherche, les  organismes de soutien à la recherche, les agences subventionnaires (fédérales, provinciales, les  fondations), le monde de la publication et de la diffusion du savoir sous toute ses formes (revues,  scientifiques, médias, organismes diffusant du contenu culturel). Tous ces acteurs participent au  dynamisme et la pérennité de la science en français au pays. Or, tous connaissent et affrontent actuellement des défis importants qui pour certains menacent jusqu’à leur existence (les universités  franco-ontariennes, par exemple).

Une stratégie nationale pour la science en français 

Le cycle de production d’une science en français se retrouve ainsi grippé à tous les étages, et s’affaiblira dangereusement sans l’adoption de mesures concrètes et concertées. Le temps des constats et des  recommandations est maintenant passé. Les diagnostics sont connus et les pistes de solutions ont été  largement discutées, évaluées et largement approuvées par la communauté scientifique francophone.  Aujourd’hui, sans la mise en œuvre d’une véritable stratégie nationale pour la science en français qui  engage l’ensemble des acteurs, le Canada se retrouvera bientôt avec une culture scientifique amoindrie,  avec un héritage scientifique abandonné et une voix qui portera moins loin. Une telle stratégie consisterait  d’abord et avant tout à mieux coordonner les initiatives et les acteurs qui aujourd’hui font vivre la science  en français. Le monde de la recherche a collectivement les capacités de dessiner les contours d’une feuille  de route ambitieuse avec le soutien des agences subventionnaires et des ministères responsables de la  recherche et de l’enseignement supérieur au niveau fédéral et provincial. Sans une véritable stratégie  pour la science en français, le Canada se privera de solides partenaires dans la compétition féroce pour la  société du savoir, pour la course à l’innovation et au développement économique. L’importance que

1 Le rapport long – https://www.acfas.ca/sites/default/files/documents_utiles/rapport_francophonie_final_1.pdf

Le rapport en anglais :  https://www.acfas.ca/sites/default/files/documents_utiles/rapport_francophonie_sommaire_en_final_0.pdf

2 https://www.ourcommons.ca/DocumentViewer/fr/44-1/SRSR/rapport-5/

3 https://egpostsecondaire.ca/documentation/

prend aujourd’hui la diplomatie scientifique nous rappelle que la science est une composante majeure  des affaires internationales et de la sécurité de nos sociétés.