Un tournant décisif pour la recherche en français au Canada
Author(s):
Linda Cardinal, Vincent Larivière
Danielle de Moissac, Mamadou Fall, Michelle Landry, Valérie Lapointe-Gagnon, Rémi Léger, Anne Leis, Gary Slater, Patrick Poirier

Malgré des décennies d’efforts pour structurer un espace de recherche en français au pays, les obstacles persistent : financements insuffisants pour former la relève, faible reconnaissance des publications en français et accès limité des chercheurs et chercheuses aux infrastructures et à du personnel qualifié pour poursuivre leurs travaux de recherche, en particulier en contexte minoritaire francophone. L’étude intitulée Portrait et défis de la recherche en français en contexte minoritaire au Canada, publiée en 2021, contenait des recommandations permettant de s’attaquer à ces enjeux, dont la création Service d’appui à la recherche (SARF) pour les francophones en contexte minoritaire. Celui-ci voit le jour en 2023 afin de donner un appui soutenu aux chercheurs francophones de l’extérieur du Québec dans la préparation de demandes de financement en français auprès des organismes subventionnaires.
Au mois d’octobre 2024, le gouvernement fédéral a mis sur pied le Groupe consultatif externe sur la création et la diffusion des savoirs scientifiques en français (Groupe consultatif). Celui-ci est constitué de dix chercheurs et chercheuses reconnus au Canada et sur la scène internationale, notamment pour leur rôle clé dans le domaine de la recherche en français.
Le Groupe consultatif a pour mandat de formuler des avis et des recommandations à la ministre responsable des Langues officielles en vue de l’élaboration d’une stratégie fédérale qui assurera la viabilité à long terme de l’écosystème de la recherche scientifique en français au Canada. Le Groupe consultatif veut ainsi contribuer à ce nouvel élan favorable au soutien à la recherche en français au Canada.
Un écosystème en difficulté, un besoin urgent d’action
Les rapports récents – celui de l’Acfas, tout comme ceux du Comité consultatif sur le système fédéral de soutien à la recherche et du Comité permanent de la science et de la recherche (SRSR) – brossent un portrait sans équivoque :
- La production de connaissances en français se situe bien en dessous du poids démographique des chercheurs et chercheuses francophones et, dans certains domaines, cette production est inexistante.
- Les demandes de subventions soumises en français sont nettement inférieures au poids démographique des chercheurs et chercheuses francophones.
- Seulement 8 % des revues savantes créées depuis 1960 sont francophones, et plus de 90 % des articles scientifiques sont aujourd’hui publiés en anglais, fragilisant ainsi la diffusion des connaissances en français.
- Les travaux en français sont peu indexés dans les bases de données internationales, ce qui nuit à leur rayonnement et à leur reconnaissance.
Ces défis entravent le développement de la recherche en français, en particulier en contexte minoritaire. La question n’est plus de savoir s’il faut agir, mais comment effectuer un changement durable et efficace afin d’assurer la pérennité des savoirs en français au pays et dans le monde francophone.
Le rôle déterminant du Groupe consultatif
Au mois d’avril 2023, le gouvernement canadien publie son nouveau Plan d’action pour les langues officielles 2023-2028 et annonce un investissement de 8,5 millions de dollars sur cinq ans pour appuyer la recherche en français ainsi que la création du Groupe consultatif. Les recommandations de ce nouveau groupe devront conduire à des actions pour la mise en place de conditions favorables à la pérennité de la recherche en français.
Le Groupe consultatif a défini cinq axes d’intervention :
- La formation de la relève scientifique francophone;
- La création des savoirs en français;
- La diffusion des savoirs en français;
- La reconnaissance des savoirs en français;
- La gouvernance efficace et durable des instances clés de prise de décision en matière de recherche en français au pays.
Parmi ses activités, le Groupe consultatif a lancé, en février 2025 une consultation en ligne en vue de recueillir des suggestions et des recommandations de la part de la population canadienne afin d’améliorer la recherche en français au pays. Le Groupe consultatif poursuit aussi une série de consultations avec les principaux acteurs et principales actrices de l’écosystème de la recherche en français au pays sur les défis et les actions à prendre pour appuyer la recherche en français.
Un moment charnière pour l’avenir de la recherche en français
La création du Groupe consultatif représente une occasion unique d’instaurer une vision globale et intégrée du soutien à la recherche en français au Canada. Formulées en collaboration avec les actrices et acteurs de l’écosystème de la recherche en français, les recommandations qui en découleront seront ambitieuses et structurantes, tout en étant pragmatiques. En outre, elles devront être suivies par des engagements financiers et institutionnels clairs.
Les rapports consultés s’accordent sur une conclusion: la recherche en français ne peut pas se limiter à une coexistence fragile avec l’anglais. Le français est une langue officielle à égalité avec l’anglais, y compris dans le champ de la production des savoirs. La progression vers l’égalité réelle exige la pleine intégration du français dans les politiques de financement de la recherche, incluant les programmes pour la création et la diffusion, ainsi que la gouvernance des savoirs en français.
L’enjeu dépasse la seule question linguistique. Il s’agit de garantir la diversité et l’équité dans la production des savoirs, de soutenir l’innovation dans toutes les disciplines et d’assurer le développement de conditions favorables à la recherche au sein des milieux francophones partout au pays. Relever les défis posés par le déclin du français exige une vision renouvelée de la recherche scientifique au Canada, qui dépasse les logiques strictement utilitaristes et qui ne réduise pas l’excellence scientifique à des publications savantes dans les revues internationales, qui utilisent quasi-exclusivement l’anglais comme langue de diffusion. Une telle approche, trop réductrice, omet le caractère émancipateur du savoir, qui peut profondément transformer la vie des individus et des communautés. La recherche, loin de se limiter à des critères de performances mesurables, doit être reconnue pour sa capacité à élargir l’horizon des possibles.
L’heure est venue de passer de l’analyse à l’action. La recherche en français a besoin d’un nouvel élan, d’une nouvelle stratégie et le Groupe consultatif externe a aujourd’hui la responsabilité de nous en donner les moyens.